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Cuisiner en cellule nuit gravement à la santé des détenus

Faire cuire du riz, réchauffer un plat ou encore se préparer un café : une activité qui peut s’avérer risquée lorsqu’elle est pratiquée en détention. Dans nombre de prisons françaises, les détenus n’ont en effet guère le choix que d’utiliser des réchauds à pastilles, dont la combustion libère des oxydes d’azote, de l’ammoniac, du cyanure d’hydrogène ou encore du formaldéhyde, une substance cancérigène.

« Ne pas utiliser en atmosphère confinée », précisent pourtant les fabricants sur l’emballage de ces produits dédiés à une utilisation en plein air et commercialisés depuis 1996 en détention. Une instruction naturellement impossible à respecter en cellule. La récente condamnation de l’Etat à indemniser un ancien détenu en réparation de son préjudice résultant de l’utilisation de ces pastilles toxiques, dont près de 900 000 unités partiraient chaque année en fumée dans les prisons françaises, sonnera-t-elle enfin le glas de leur commercialisation en détention ?

Une condamnation sans appel

Le 12 avril 2012, le tribunal administratif de Versailles a jugé qu’« en proposant à Monsieur Nasser M., comme unique moyen de cuisson des produits frais et autres plats [...] des pastilles chauffantes, dont il est avéré que l’utilisation dans des conditions inappropriées, en particulier dans un lieu exigu et insuffisamment aéré tel qu’une cellule, a des effets nocifs sur la santé humaine et accroît les risques de cancer, l’Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ».

Incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) entre décembre 2007 et février 2010, Nasser M. utilisait ces pastilles pour cuisiner dans sa cellule, et souffrait de symptômes respiratoires (toux permanente, bronchites à répétition, difficultés respiratoires nécessitant l’usage d’un broncho-dilatateur, ...).

Dans le cadre de la procédure qu’il intentait contre l’administration pour faire reconnaître sa responsabilité, le tribunal avait ordonné une expertise médicale. Celle-ci, remise en septembre 2010, avait clairement établit le lien entre la toxicité des pastilles et son état de santé :

« Le déclenchement des symptômes respiratoires est indéniablement lié à l’utilisation des [pastilles] Amiflam ».

L’Etat a donc été condamné à lui verser 24 000 euros en réparation de son préjudice.

Des pastilles à ne pas utiliser en milieu confiné

Cette condamnation intervient alors que l’administration pénitentiaire est interpellée depuis plusieurs années, par les autorités sanitaires en particulier, sur la présence de ce produit toxique sur la liste des produits « cantinables » en prison.

L’Inspection générale des affaires sociales avait alerté l’administration pénitentiaire en 2005. En janvier 2007, le Comité de coordination de toxicovigilance (CCTV), mandaté par la Direction générale de la santé (DGS), s’étonnait de la présence de ces pastilles en détention, notant qu’elles « ne devraient pas être utilisées en atmosphère confinée ».

Dans son rapport d’inspection sur la maison d’arrêt de la Santé en mars 2008, la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) d’Ile-de-France parvenait aux mêmes conclusions :

« La ventilation des cellules nécessaire à l’usage de ce mode de réchauffement est impossible à respecter dans la disposition d’une cellule ».

Mais faisant fi de ces constatations, la notice d’information type relative aux pastilles chauffantes, diffusée par l’administration pénitentiaire depuis avril 2008 dans l’ensemble des prisons françaises, invite les détenus à « pratiquer une aération de la cellule pendant et après la combustion des pastilles ». Et leur recommande de se tenir à distance de celles-ci lors de leur combustion, afin d’éviter l’inhalation les vapeurs qui s’en dégagent. Ignorant l’exigüité des cellules, équipées le plus souvent de fenêtres de petite taille, obstruées par des grillages, barreaux, ou caillebotis. Ainsi que le non-respect de l’encellulement individuel et la surpopulation qui affecte la très grande majorité des maisons d’arrêt.

Un manque de volonté politique

Interrogée sur la commercialisation en prison de ce produit dangereux pour la santé humaine, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, faisait valoir le 2 février 2010 l’absence en détention « d’installations électriques supportant la généralisation des plaques chauffantes », avant d’ajouter qu’« il n’est pas envisageable actuellement de (les) supprimer ».

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a pourtant pu constater, à la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône par exemple, que l’absence de mise à disposition de plaques chauffantes, « comme ailleurs, n’est pas due à des obstacles techniques », et que « le risque de saturation du réseau électrique pourrait être pris en compte en introduisant principalement des plaques à la puissance limitée ».

Le Contrôleur épingle depuis quelques années la persistance de ce système de cuisson toxique en cellules. Selon lui, autoriser les plaques électriques « permettrait de retirer de la cantine l’achat des pastilles combustibles dont l’administration pénitentiaire indique par note le risque cancérigène, ce qui, pour le contrôle général, apparaît pour le moins incohérent... ».

A ce jour, ces pastilles figurent toujours sur la liste de produits que peuvent se procurer les personnes détenues (bons de cantine). Avec mention des mêmes précautions d’usage impossibles à mettre en œuvre. C’est notamment le cas à Villefranche-sur-Saône, Fresnes ou encore Saint-Brieuc. Après avoir longtemps été interpellé, l’Etat, désormais condamné, tirera-t-il les conséquences de ces constats unanimes ?

Le retrait immédiat des pastilles combustibles chauffantes des produits « cantinables » en détention et leur remplacement concomitant par des modes de cuisson alternatifs, sollicités le 4 juin dernier par l’Observatoire international des prisons (OIP) auprès des ministres de la Justice et de la Santé, apparaît aussi urgent qu’inéluctable. Sous peine de voir persister la mise en danger de la santé des personnes détenues.

Samuel Gautier | Observatoire international des prisons (OIP)

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