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« Dans sa cellule, mon fils dort sur une armoire »

REPORTAGE Saisi en juillet par l’Observatoire international des prisons, le Conseil d’Etat a reconnu « des atteintes graves aux droits fondamentaux » dans la maison d’arrêt du Gard. Un mois après, les détenus y sont toujours entassés à trois dans 9 m2.

Le soir venu, ils posent un matelas par terre près des toilettes ou sur une armoire renversée. Il faut vraiment se faufiler pour bouger encore dans la cellule. Les murs suintent. Odeurs de merde, de tabac et de sueur mélangées. L’été, la température monte à 40 degrés dans le bâtiment exposé au sud. Reléguée en périphérie de la cité gardoise, la maison d’arrêt de Nîmes est ce qui se fait de pire en matière de surpopulation carcérale. Au 1er juillet, elle comptait 357 détenus pour 192 places, soit un taux d’occupation de 186 %. Mais, au cours des six mois précédents, leur nombre est monté à près de 400.

L’Observatoire international des prisons (1), rejoint par l’ordre des avocats de Nîmes et le Syndicat de la magistrature, a bien tenté, le 26 juillet, de porter l’affaire devant le Conseil d’Etat. La procédure en référé n’a pas abouti. La haute juridiction administrative a certes pris acte des « atteintes graves et manifestement illégales portées aux droits fondamentaux des détenus de Nîmes ». Mais elle s’est bornée à ordonner à l’administration pénitentiaire de prendre, « dans les meilleurs délais, toutes les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer, dans l’attente d’une solution pérenne, les conditions matérielles d’installation des détenus pendant la nuit ». En revanche, elle n’a exigé aucune mesure précise pour parer à la surpopulation. A l’arrivée, les détenus ont eu droit à une distribution de berlingots de javel et de couvertures propres.

Dans le bus qui mène à la maison d’arrêt, une femme dit à ses deux voisines qu’elle « s’est fait belle pour son époux, détenu depuis un an ». Elle est accompagnée d’un enfant et porte du linge dans un sac en plastique. Une vingtaine de minutes, c’est la durée du trajet pour arriver depuis la gare de Nîmes. Arrêt « Mas de Possac », puis 100 mètres à pied jusqu’aux grilles de l’entrée principale. On est à la périphérie de la ville, à proximité de la ZUP du Mas de Mingue, dont certains détenus sont originaires.
Foire d’empoigne au parloir

La salle d’accueil des visiteurs est une grande pièce bien éclairée, avec un distributeur de boissons et des jouets pour les enfants. Avant sa création, dans les années 90, les gens attendaient dans la rue. Aujourd’hui, ils s’inscrivent sur une borne semblable à celles de Pôle Emploi. « Nous aidons celles et ceux qui ne savent pas bien lire à s’en servir. On fait le travail de l’administration pénitentiaire », souffle Isabelle (2), l’une des bénévoles de l’Olivier, une association nîmoise chargée de gérer cette salle. Règle numéro 1 : ne jamais demander pourquoi les gens sont en prison. « Ici, la chronique judiciaire n’a pas lieu. On ne parle pas de la peine des gens », dit la jeune femme. Tout le monde est logé à la même enseigne. Ni faveur ni passe-droit. Les visiteurs ont des casiers pour y ranger leurs effets personnels. Isabelle se souvient de l’épouse d’un élu nîmois qui ne voulait pas lâcher son sac Vuitton lors de sa première visite. « Excédée, elle a fini par le laisser à une gardienne en lui disant qu’elle n’en toucherait certainement pas un autre dans sa vie. »

Encore une demi-heure avant le prochain appel. La foire d’empoigne du parloir ne va plus tarder. Entassés à 70 dans une pièce sans fenêtres de 85 mètres carrés, les détenus et leurs proches « n’ont aucune intimité », pointe le rapport de l’OIP. Autour des tables en plastique collées les unes aux autres, sans box individuel, on ne s’entend pas. « Le vacarme est si fort qu’il faut se parler à l’oreille, raconte Samira, 23 ans, On est mal à l’aise. Certains se disputent. Parfois, ça dégénère. Ça n’incite pas au calme. Une fois, l’un des détenus a pissé dans une bouteille en plastique devant tout le monde. Ça a failli déclencher une bagarre. » Mères, pères, sœurs, compagnes : tous dénoncent une prison inhumaine. « Mon fils dort sur une armoire dans une cellule de trois. Il y a de la moisissure sur les murs, s’énerve Jeanne, 37 ans. En été, ils arrosent le sol d’eau et ils dorment avec une serviette mouillée sur eux. » « Ils sont les uns sur les autres, comme des chiens, rajoute Sandrine, 36 ans, la femme d’un détenu. Avec la moisissure, il y a des cellules où ils ne voient plus la couleur des murs. » Samir, 51 ans, père d’un détenu, dit que « la violence est là, entre eux et envers les surveillants. Il y a du racket. Des détenus n’ont pas le droit d’aller en promenade ».

Une réalité que ne contredit pas le personnel de l’administration pénitentiaire. A une vingtaine de kilomètres de Montpellier, on rencontre Jules, surveillant de la maison d’arrêt. « Ça pourrait être bien plus grave », lâche-t-il. Les traits tirés, assis devant une tasse de café, il doit dans quelques heures prendre son service de nuit : de 18 h 45 à 7 heures du matin. La veille, il avait déjà fait une matinée, de 6 h 45 à 13 heures, suivie d’une nuit, avec une coupure de six heures entre les deux. En théorie c’est interdit.

Mais pour pallier le déficit de personnel, l’administration pénitentiaire « qui gère le planning avec le logiciel Origine est obligée de bidouiller l’enregistrement des horaires », dit-il. En ce moment, aux étages du « grand quartier de détention », il y a un surveillant pour 70 détenus. « C’est monté à 80 » en mai, quand la surpopulation a atteint les 200 %. S’y mêlent les prévenus en attente de jugement, les « courtes peines », condamnés à moins d’un an de prison, et ceux en attente de transfert. Un tiers d’entre eux ont de graves problèmes d’addiction.
Chaleur insupportable

Dans ces conditions, les surveillants tentent de parer au plus pressé : empêcher « les projections » de shit ou de téléphones portables, balancés depuis la rue sur le terrain de sport, et assurer « les mouvements » (douche, infirmerie, sports, parloir, ateliers). Il n’y a plus le temps ni la place pour « évaluer les entrants au quartier arrivant ». « Pour éviter l’engorgement, on les met à trois par cellule en abrégeant les périodes d’observation pour les faire monter au plus vite en détention », précise Jules.

L’été, il faut lâcher du lest à cause de la chaleur insupportable. « Au risque de prendre un avertissement, on laisse la porte des cellules ouverte pendant la distribution des repas. On demande aux détenus d’aérer leur cellule quand ça sent trop le shit. » On ferme aussi les yeux sur la multiplication des téléphones portables avec un accès à Internet. Rien qu’au premier trimestre 2012, selon le rapport du contrôleur général des lieux de privations de libertés (CGLPL), que Libération a consulté, 880 grammes de cannabis, 126 portables, 44 puces de téléphones ont été saisis à la prison de Nimes.. Mais, parfois, ça ne suffit pas. Le 19 mars, à la nuit tombée, des individus non identifiés ont arrosé à la kalachnikov la porte et la façade de la maison d’arrêt…

« Depuis, il n’y a pas eu d’incidents majeurs (émeutes ou agressions violentes du personnel) à déplorer », souligne la direction interrégionale de l’administration pénitentiaire à Toulouse, dont dépend la maison d’arrêt de Nîmes. Interrogée par Libération, elle réfute le bidouillage informatique du logiciel d’enregistrement des horaires. Tout juste si son directeur adjoint, Louis Perreau, admet un taux d’absentéisme de son personnel nîmois deux fois supérieur à la moyenne nationale, signe des souffrances qu’engendre le surpeuplement carcéral sur les surveillants. Conjointement à la plainte de l’OIP, quatre détenus de Nîmes ont dénoncé leurs conditions de détention devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’institution rendra son avis en 2017. D’ici là, tout laisse supposer qu’il y aura encore des détenus enfermés à trois dans des cellules de 9 mètres carrés.

(1) Le dossier de l’OIP est basé sur le rapport de novembre 2012 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté , ainsi que les témoignages des détenus et des personnels de la maison d’arrêt de Nîmes.

(2) Les prénoms ont été modifiés.

Jean-Manuel ESCARNOT Envoyé spécial à Nîmes (Gard)

>> http://www.liberation.fr/societe/20...
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