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Des enseignants et des élèves... en prison

Daniel Beauvais et Cécile Rambourg, la revue de l’adaptation et de la scolarisation, n°59, octobre 2012.

Faire travailler ensemble tous les acteurs de l’inclusion ?

Par Hervé Benoit, rédacteur en chef

Intra muros est sans doute l’expression qui traduit le plus fidèlement la situation dans laquelle se trouve le détenu en prison. Mais ces hauts murs de pierre ou de béton, visibles et tangibles, ne masquent-ils pas d’autres barrières internes qui morcèlent et cloisonnent les activités, l’espace et le temps dans le microcosme de la prison, des Établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) ou des Centres éducatifs fermés (CEF).
On serait enclin à penser, en s’appuyant les représentations données par la littérature et le cinéma, qu’il s’agit d’un « autre monde », régi par des codes spécifiques en décalage profond avec ceux que nous connaissons, et dont il faudrait que le nouvel arrivant fasse, pour survivre rapidement l’apprentissage. Un monde si différent du nôtre qu’il provoque chez ceux qui s’y trouvent soudain plongés un « choc carcéral », trou noir dans lequel se trouvent parfois aspirées l’identité et la volonté. Un monde où la contrainte est la règle et la liberté l’exception, comme c’est le cas dans le déroulement syncopé du temps, dont le sens finit par se perdre au fil de la succession des parloirs, des prises en charge médicales, des entretiens avec les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse et des extractions liées à la procédure pénale en cours. Pour échapper à cette discontinuité temporelle, que renforce l’incertitude de l’avenir – notamment avant le procès – l’adhésion à un projet d’apprendre, à un dessein personnel de développement constitue un moyen fort, parce qu’il permet à la personne d’émanciper son identité des contingences qui en menacent la cohésion en la resituant dans une continuité temporelle maîtrisée.
La question est alors de savoir dans quelles conditions une action pédagogique volontariste peut trouver sa place dans le fonctionnement institutionnel du milieu pénitentiaire, en particulier dans le domaine de la prise en charge des jeunes délinquants, et quels obstacles pourraient s’y opposer. À travers les contributions de ce numéro, émerge l’hypothèse que c’est moins le caractère différent des codes en vigueur dans l’univers de la prison que l’exacerbation des codes sociaux ordinaires qui contrarie un tel processus.
Tout semble se passer comme si les codes habituels étaient systématiquement « surjoués », qu’il s’agisse de l’école, de la discipline, des activités, du genre et des catégories sociales :
 « surcodage scolaire » d’abord, au sens où les « élèves en prison » réclament souvent de leurs professeurs un enseignement conforme à leurs représentations de l’école, fait d’exercices d’orthographe, de grammaire, de conjugaison, de calcul, qui renvoient plus en fait à une symbolique sociale qu’à une fonction pédagogique ;
 « surcodage disciplinaire », dans la mesure où la présence des surveillants exonère l’enseignant des contraintes disciplinaires ;
 surcodage occupationnel, qui se concrétise, dans les structures pour jeunes détenus, par ce que Michel Febrer appelle un « suractivisme » consistant à imposer chaque jour dix à douze heures d’activités, auxquelles l’adhésion des participants n’est nullement garantie ;
 « surcodage sexué », comme le formulent Laurent Solini et Jean-Charles Basson, qui observent que les pratiques en séances de musculation sont contraires au projet éducatif de l’EPM, en cela qu’elles favorisent, en instaurant « un mode virilisé de régulation sociale », une « distribution normative des rôles sexués » ;
 « surcodage social » enfin, qui permet, comme l’analyse Fanny Salane, aux détenus-étudiants à capitaux sociaux et relationnels importants de se voir légitimés dans ce statut par l’administration pénitentiaire, tandis que d’autres, d’un niveau scolaire et socio-professionnel très bas, mais désireux de s’élever scolairement et culturellement, rencontrent de grandes difficultés à se faire reconnaître comme étudiants par les acteurs du système pénitentiaire.

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