Carceropolis, voir autrement la prison
Bandeau Voir autrement la prison
Qui sommes-nous ? | Le projet | Newsletter

Par thème :

RECHERCHE

Détenus hors de leurs gonds à la prison d’Alençon

Une quinzaine d’incidents majeurs, selon les syndicats, ont eu lieu en six mois dans ce centre pénitentiaire ultrasécurisé inauguré en avril.

Elle était présentée comme la prison « la plus sécurisée de France ». Avec sa double enceinte de béton, ses miradors et ses caméras, le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe, dans l’Orne, devait accueillir les détenus les « plus durs » du pays. « Ceux dont on ne veut pas ailleurs », comme le résume Philippe Devique, secrétaire régional de l’Ufap-Unsa, le principal syndicat de surveillants pénitentiaires. Mais depuis son ouverture il y a huit mois, le lieu collectionne prises d’otages, agressions et incidents violents. Il est devenu l’incarnation d’une certaine vision carcérale, hypersécuritaire, dont le modèle semble aujourd’hui à bout de souffle. Chose rare, l’administration pénitentiaire reconnaît à demi-mots avoir fait fausse route.

Condé-sur-Sarthe, « c’est la lie de la population carcérale », raconte Alexis Grandhaie, élu de la CGT pénitentiaire dans le Grand-Ouest « On n’a eu de cesse d’alerter contre ce projet né il y a dix ans, qui associe des longues peines - donc des gens qui n’ont rien à perdre -, avec des profils psychologiques. Bref, les cas les plus complexes. » Les syndicats ont recensé une quinzaine d’incidents majeurs au cours des six derniers mois. L’hiver a été particulièrement tendu.

Le 10 janvier, le directeur adjoint de la maison centrale est blessé à la tête par un détenu armé d’un pic aiguisé. Fin décembre, un surveillant est retenu en otage quelques heures par deux prisonniers demandant leurs transfèrements dans un autre établissement. Un chantage plutôt efficace : les intéressés ont depuis été affectés à Rennes et Rouen, non sans avoir écopé de huit ans de prison supplémentaires. Peu importe, ils n’ont pas grand-chose à perdre.

C’est ce qui ressort des témoignages reçus par l’Observatoire international des prisons (OIP). « C’est une centrale extrêmement sécuritaire qui fait péter les plombs, car on nous traite comme dans les prisons américaines, explique un détenu. C’est vraiment inhumain. Moi, si je ne suis pas transféré rapidement, je vais faire une prise d’otage pour parler aux médias de notre détention très difficile […]. S’il vous plaît, aidez-nous. » Un autre appuie : « La direction nous pousse à commettre des actes car Condé-sur-Sarthe est un QHS amélioré [quartier de haute sécurité, un système supprimé en 1981, ndlr]. On est tout le temps en cellule, on n’a pas beaucoup d’activité. C’est pour ça qu’il y a des mouvements et la prise d’otage. Moi, je suis déterminé à ne pas me laisser faire. Car pour le système de Condé, on est des cobayes. Si je dois prendre des années pour être transféré ou pour faire respecter mes conditions de détention, je le ferai sans hésiter. »

Désœuvrement. Outre sa population particulièrement difficile, la prison de Condé cumule plusieurs handicaps. « Le travail préalable à l’ouverture, notamment la mise en place d’un comité de pilotage, n’a pas été correctement réalisé. Tout s’est fait à marche forcée », déplore Philippe Devique. L’encadrement est insuffisant. Sur les 180 surveillants, la moitié sont stagiaires. Des jeunes, qui n’ont pas l’expérience requise. L’établissement n’a même pas de psychiatre à plein-temps.

Autre problème : la configuration des lieux. « Ce type de prison demande d’importants effectifs pour les postes de sécurité, miradors, portes d’entrée, postes de surveillance de la promenade, décrit Philippe Devique. Résultat : les agents ne sont pas tous au contact de la population pénale. Et ceux qui le sont se retrouvent isolés. » Et Alexis Grandhaie d’appuyer : « Or, on ne peut pas travailler sans lien humain. »

L’isolement géographique n’arrange pas les choses. Les détenus, qui viennent de partout en France, se retrouvent très loin de leurs familles. Le désœuvrement pèse aussi sur le quotidien. Même si, pointe Jean-Michel Dejenne, responsable du SNDP, seconde organisation chez les directeurs de prisons, Condé-sur-Sarthe est plutôt « dans une bonne moyenne » en terme d’activité professionnelle : « Sur les 67 détenus, 41 travaillent. »

Confrontée à ce constat d’échec, l’administration pénitentiaire (AP) commence à bouger. Aucune nouvelle affectation de détenus ne sera effectuée tant que la situation ne sera pas « stabilisée ». Le profil des prisonniers devrait changer. « Condé continuera à accueillir des détenus difficiles car c’est aussi la vocation de cet établissement, mais on va affecter des gens qui ont des profils plus diversifiés », a indiqué vendredi dernier Bruno Clément, sous-directeur de l’état-major de sécurité de l’AP. L’homme a aussi reconnu que le pari de la « sécurité maximum » n’était pas suffisant : « Au-delà des équipements, il faut qu’on travaille beaucoup plus sur la relation entre les personnels et ces détenus. » Les surveillants devraient être formés en conséquence, et les prisonniers bénéficier d’un suivi « individualisé ». Un revirement qui devrait ravir l’OIP. L’association milite de longue date pour une plus grande implication des personnels pénitentiaires. Ce concept, baptisé « sécurité dynamique », prône un régime carcéral plus participatif, et pas uniquement basé sur la dissuasion.

Parole.L’OIP relativise par ailleurs l’impression de surchauffe carcérale qu’ont donnée de multiples incidents - à Condé-sur-Sarthe, mais aussi à Toul, ou encore aux Beaumettes à Marseille. Ainsi, les onze premiers mois de 2013 ont été marqués par une diminution de 6,1% des agressions contre le personnel. En revanche, les mouvements collectifs, comme les refus de réintégrer les cellules, par exemple, explosent (+ 33,67%). Pour Anne Chereul, représentante de l’OIP dans le Nord-Pas-de-Calais, cela illustre la nécessité de sortir d’une vision uniquement sécuritaire : « Il faut donner des possibilités d’expression aux détenus à travers des groupes de parole par exemple. Et permettre aux conflits de s’exprimer autrement que par la violence. »

Sylvain MOUILLARD

>> http://www.liberation.fr/societe/20...
Carceropolis, le site
Découvrez le site carceropolis.fr
la plateforme multimédia pour voir autrement la prison.


Aidez Carceropolis, donnez en ligne
Soutenez Carceropolis en faisant un don en ligne.