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En prison, les cellules souches de la radicalisation

Un surveillant de la maison d’arrêt de Nîmes, raconte l’impossibilité de repérer et d’empêcher l’embrigadement des détenus dans des établissements surpeuplés.

« A la maison d’arrêt de Nîmes, il y a 80 détenus par étage au lieu de 40. Trois bonshommes par cellule de 9 m2. Le taux d’occupation frise les 200%. Dans ces conditions comment repérer qui que ce soit ? » Paul (1), 40 ans, surveillant depuis plus de dix ans, a de sérieux doutes sur la capacité de l’administration pénitentiaire à contrer le péril islamiste dans les prisons françaises. « Les maisons d’arrêt sont de véritables gares de triage où se mêlent, parfois pendant des mois voire des années, petits et très gros poissons en attente de leur condamnation définitive et, au milieu de cela, des islamistes qui voient là une jeunesse des quartiers, délinquante et en colère contre cette société qu’elle estime responsable. Il n’y a pas de terreau plus fertile à la radicalisation. » Avec un taux d’occupation moyen de 130% au 1er décembre, il manquerait plus de 10 000 places dans les maisons d’arrêt pour répondre aux normes européennes de l’encellulement individuel.

Émules. A la surpopulation s’ajoute le manque de formation spécifique du personnel sur les processus d’embrigadement ou, plus généralement, sur l’islam, « pour ne pas prendre un détenu musulman lambda qui fait juste sa prière pour un intégriste », observe notre interlocuteur. Les détenus condamnés à plus de deux ans purgent leur peine en cellules individuelles dans les centres de détention, et en centrale pour les plus longues détentions. Pour autant, des détenus particulièrement signalés, comme Aït Ali Belkacem, condamné à perpétuité en 2003 pour les attentats du RER B en 1995, ou Djamel Beghal, mentor présumé des frères Kouachi et de Coulibaly, continuent d’y faire des émules. « Pendant son passage à la centrale de Saint-Maur [Indre, ndlr], Aït Belkacem et une dizaine d’autres islamistes radicaux regroupés à l’étage C21 avaient décrété qu’aucune femme non voilée ne passerait la grille de leur étage. L’administration n’a pas bougé pour éviter que ça dégénère, raconte Paul. La salle commune de leur étage servait de salle de prière et de cours particuliers sur le Coran. » C’est seulement après leur « baluchonnage » (leur transfèrement) pour avoir organisé un refus collectif de retour en cellule que l’administration a su qu’Aït Belkacem et l’un de ses comparses « mettaient la pression sur les types de leur étage ».

En dehors des profils comme Belkacem ou Beghal, les détenus radicalisés en détention ont plutôt tendance à se faire discrets pour ne pas être repérés. « Ils évitent les appels à la prière collective, le port de la barbe et peuvent même fumer. Mais une fois la porte de la cellule refermée, interdiction pour leur codétenu de regarder certains programmes télé, pas de musique non plus. Tout l’enjeu est que l’information puisse remonter jusqu’à nous pour pouvoir le signaler ensuite à la hiérarchie », indique Paul. De plus, la profusion des téléphones portables et des clés 3G à l’intérieur permettrait de faire circuler les infos avec l’extérieur et faciliterait l’accès à la propagande islamiste. « Les demandes de fouille générale d’établissement ou de brouilleurs de téléphones restent sans réponse. Pour éviter que la cocotte n’explose, l’administration ferme les yeux », affirme Paul.

Alors, que faire ? « Autour de moi, les surveillants sont dans l’attente de directives », répond Paul, désabusé. La « base » n’a aucun retour sur l’expérimentation de l’isolement des détenus les plus radicaux menée à Fresnes. La mise à l’écart « est une bonne chose » selon lui, mais avec une évaluation permanente tout au long de la détention « pour déterminer le niveau d’intoxication, avec des psychologues assez pointus ». Sur le plan religieux, les prisons manqueraient d’imams « volontaires, avec un discours cohérent pour amener les plus jeunes à réfléchir sur leur parcours ». Dans l’immédiat, il faut selon lui des « prisons plus sécuritaires »pour « couper l’intérieur de tout contact non contrôlé avec l’extérieur ; c’est ça la priorité ».

« Lien ».D’ici là, le seul outil à disposition sera le logiciel de gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité (Genesis), en cours d’installation. Ce fichier, consultable par le personnel de l’administration jusqu’au juge d’application des peines, recense les informations sur chaque détenu pendant sa détention. « Une bonne chose à condition d’avoir le temps d’y mettre les infos et de faire le lien entre terrain et analyse. Ce qui n’est pas le cas », reprend Paul. Le 22 avril, une bagarre sur le terrain de sport du centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe (Orne) a opposé plusieurs détenus, parmi lesquels Belkacem, qui a pratiqué depuis des appels à la prière collective. « La demande de mise à l’isolement faite par les surveillants est restée sans réponse », soupire Paul.

(1) Le prénom a été changé.

Jean-Manuel ESCARNOT Correspondant à Toulouse

>> http://www.liberation.fr/societe/20...
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