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En prison, tout est fait pour empêcher les détenus de faire valoir leurs droits

Le sixième rapport annuel du contrôleur général des lieux de privation des libertés, rendu public mardi 11 mars, sera aussi le dernier signé de Jean-Marie Delarue. Premier titulaire de cette fonction créée, en 2008, par Nicolas Sarkozy, il achève son mandat en juin. Dans ce dernier état des lieux de plus 300 pages, fruit de cinq ans de travail, M. Delarue alerte – entre autres problématiques soulevées – les pouvoirs publics sur la situation préoccupante que subissent les « procéduriers » : ces détenus qui souhaitent faire valoir leurs droits mais en sont empêchés par l’administration pénitentiaire.


Le Monde : Parmi les figures carcérales, que représente celle du « procédurier » ?

Jean-Marie Delarue : Le procédurier est le détenu qui veut faire valoir ses droits et qui, n’ayant pas obtenu de réponse de la part de l’administration pénitentiaire – souvent parce que le surveillant ne transmet pas ses lettres au directeur –, va monter au cran supérieur et multiplier les procédures en externe pour avoir gain de cause : il peut saisir le directeur interrégional de l’administration pénitentiaire, le procureur de la République, l’Observatoire international des prisons ou le contrôleur.

Le procédurier devient alors le détenu le plus dérangeant, bien avant la figure du détenu indiscipliné ou violent : c’est celui qu’il faut faire taire absolument parce qu’on ne veut pas qu’on sache, à l’extérieur, que quelque chose ne va pas dans l’enceinte de la prison. On oppose aux procéduriers les détenus effacés, qui représentent une large majorité : ils ont compris que si on voulait survivre en détention, il ne fallait pas protester ; sous peine de devoir le payer. Les procéduriers sont donc des têtes brûlées qui ont tiré un trait sur une possible vie tranquille en détention.

Quels sont les moyens de pression ou de punition pour empêcher ce détenu procédurier de faire valoir ses droits ?

Puisqu’en prison vous dépendez d’un tiers pour l’ensemble de votre quotidien, il est impossible d’adresser un courrier anonymement sans passer par un surveillant. Tout se sait. Les moyens de faire payer sa procédure à un détenu sont alors infinis. Par exemple, on ne vient pas vous chercher à votre cellule pour les activités ou pour le parloir avec vos proches ; pendant les rondes de nuit, on allume en passant devant votre cellule pour vous réveiller ; on vous menace de transfèrement dans une prison éloignée du lieu de vie de votre famille si vous ne retirez pas votre plainte.

Mais la mesure de rétorsion la plus efficace et la plus grave est celle où le surveillant provoque le détenu pour le pousser à l’insulter ou à le frapper. Si le détenu cède, un compte rendu d’incident est établi et on lui colle une sanction disciplinaire. Elle s’accompagne toujours d’un retrait, de la part des magistrats, des réductions de peines. Or, n’importe quel détenu ne craint qu’une chose : rester plus longtemps en prison.

Nous savons que la majorité des procédures ouvertes ne sont pas menées à leur terme, soit parce que l’intéressé abandonne suite aux représailles, soit parce que ces plaintes sont classées sans suite par les juges, provoquant ainsi un sentiment de frustration chez les détenus : ils ne se sentent pas plus écoutés par le système juridictionnel que par le système pénitentiaire.

Peut-on alors parler de cercle vicieux ?

Absolument. L’exemple qui m’a le plus meurtri est celui d’un détenu dont le contrôleur général a suivi les courriers pendant des années. On a fini par aller lui rendre visite car nous étions inquiets pour son devenir. L’administration pénitentiaire a alors ressuscité un compte rendu d’incident qu’elle avait à son nom pour pouvoir le placer en cachot disciplinaire. Résultat : il s’est suicidé. On est donc bien dans un modèle où l’administration pénitentiaire a toujours raison et où le procédurier est conduit, nécessairement et sauf miracle, à une impasse.

Que préconisez-vous pour sortir de l’impasse ?

Notre souci premier est de continuer à alerter les pouvoirs publics : alors qu’on parle d’autres problématiques carcérales (comme la surpopulation), l’impossibilité de protester légalement en détention est largement ignorée. Je n’avais moi-même aucune idée de l’ampleur de ce phénomène en commençant ce travail : le droit au droit est fortement contesté à ceux qui sont regardés comme des « hors-la-loi ». Il faut donc former les personnels pénitentiaires au fait que leur fonctionnement puisse être critiqué sans que soit, pour autant, remise en cause leur autorité. Et améliorer leurs conditions de travail, car une partie des difficultés des surveillants vient aussi du fait qu’ils sont trop souvent seuls face aux détenus et recourent à la force pour se protéger.

Camille Bordenet
Journaliste au Monde

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