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Et si on dépénalisait les délits routiers ?

Ce mardi, la France enterre deux policiers morts la semaine dernière sur le périphérique parisien. Leur voiture a été percutée par un chauffard de 22 ans, ivre et sans permis. Quelques heures après le drame, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls tenait un discours de fermeté. « La sanction doit être exemplaire. (...) On ne peut pas dépénaliser les délits routiers. » La question se pose pourtant. C’est l’une des pistes pour désengorger les prisons et les tribunaux : punir autrement qu’en passant devant un juge certains délits, notamment les infractions routières. Les clés d’un (vieux) débat.
Quelle est la situation aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les juges des tribunaux correctionnels passent la moitié de leur temps à traiter des infractions à la sécurité routière. En 2010, 45% des condamnations prononcées (241 454 exactement) concernaient des délits routiers. La moitié sanctionnait des conduites en état d’ivresse lors de contrôles inopinés, en dehors donc des cas d’accidents où le test d’alcoolémie est systématique. Pour le reste, 15% visaient des défauts d’assurance et 9,5% des conducteurs sans permis.

L’essentiel des peines prononcées consiste en des amendes. « Seuls 5% des condamnés sont incarcérés pour des infractions routières. Un taux équivalent depuis quatre ans », selon Frédéric Péchenard, délégué interministériel à la sécurité routière. Pour les conduites en état d’ivresse, sur les 150 000 condamnations prononcées en 2011 pour ce motif, seules 1 600 se traduisent par une incarcération, soit moins de 1%. Et visent, dans les faits, les multirécidivistes.
La dépénalisation, pour quoi faire ?

L’hypothèse de départ est assez simple. Si on dépénalisait les délits routiers, en supprimant la case « procès devant un juge », on ferait des économies, en temps et en argent. La piste est évoquée dans un rapport d’information parlementaire publié en janvier sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale. Même si en la matière, vu l’infime partie des condamnés de la route mis sous écrou, l’enjeu est plutôt de désengorger les tribunaux correctionnels.

Le rapporteur Dominique Raimbourg (PS) marche sur des œufs : « C’est un sujet à manier avec une extrême prudence. Certains ont essayé avant moi (le professeur Guinchard a étudié la question dans un rapport publié en 2008, ndlr). Il n’est évidemment pas question de remettre en cause trente ans de combat pour la sécurité routière en envoyant un message de laxisme aux automobilistes. » Cette précaution prise, le député propose de « contraventionaliser » les délits routiers, c’est-à-dire de les transformer en simples contraventions (relevant du tribunal de police), quitte à augmenter, par exemple, le plafond des amendes. « Aujourd’hui, quand un conducteur est arrêté en état d’ivresse, le préfet prend un arrêté de suspension de permis de six mois maximum en attendant que la personne passe devant un juge... Pourquoi ne pas s’en tenir à une mesure administrative et réserver le passage devant le juge judiciaire pour les cas de récidive ? »

Les acteurs de la sécurité routière sont-ils opposés à la dépénalisation ?

Curieusement, tous les acteurs de la sécurité routière ne rejettent pas l’idée d’une dépénalisation d’un revers de main. Le professeur Claude Got, spécialiste en matière de sécurité routière, ne serait pas « fondamentalement contre si cela s’accompagnait d’un réel suivi ». Comprendre : un dépistage des conducteurs ayant un problème avec l’alcool, une prise en charge médicale le cas échéant et une enquête de proximité pour s’assurer qu’il ne reprend pas le volant. « C’est souvent les mêmes histoires qui reviennent, des cas stéréotypés à l’image du chauffard qui a tué les policiers la semaine dernière : accident avec alcool repéré dans le sang, suppression du permis.... Puis conduite sans permis, défaut d’assurance, nouvel accident sous l’emprise de l’alcool. »

Pour Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière, « la prison n’est pas la solution. La seule sanction réellement efficace pour prévenir la récidive, c’est la confiscation du véhicule. Depuis la loi Loppsi 2 (loi d’orientation et de programmation sur la performance de la sécurité intérieure, ndlr), le juge a l’obligation de confisquer la voiture en cas de récidive. Mais nous n’avons aucun chiffre qui prouve que la mesure est appliquée. » Aujourd’hui, les forces de l’ordre peuvent, avec l’autorisation préalable du procureur, faire procéder à l’immobilisation du véhicule mis en fourrière le temps que le juge statue. Ensuite, si le juge ne prononce pas la peine de confiscation, la voiture est rendue à son propriétaire. Sauf qu’« aujourd’hui, il est presque plus compliqué de confisquer un véhicule que de mettre un homme en prison », rapportait une magistrate lors de la conférence du consensus sur la prévention de la récidive qui présentait ses travaux la semaine dernière. Chantal Perrichon s’interroge : « Il y a un problème de place pour stocker les véhicules, surtout dans les grandes villes. Il faut débloquer des moyens. Qu’est-ce qui coûte le plus cher : confisquer les voitures ou placer les gens en prison ? »

En revanche, Frédéric Péchenard, délégué interministériel à la sécurité routière, est, lui, fermement opposé à la dépénalisation. « La déjudiciarisation m’inquiète. Envoyer un tel message serait contraire à celui envoyé depuis dix ans », pointait-il lors de son audition par Dominique Raimbourg. Il propose une autre option : remplacer autant que possible les jugements par des ordonnances pénales. Dans ce cas, le conducteur en faute ne passe pas devant le tribunal mais reçoit la décision de justice par courrier, à son domicile. Toujours lors de son audition, Pèchenard concédait : « Bien sûr, cette solution donne du travail au greffe mais on supprime les frais d’audience. On assure ainsi la répression sans affaiblir la sanction pénale. »

Par MARIE PIQUEMAL

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