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La mort d’un enseignant soupçonné de pédophilie relance la question du suicide en prison

La mort en cellule, en décembre 2015 de Yassin Salhi, qui avait décapité son patron, avait déjà provoqué un vif émoi, tout particulièrement au sein de la famille de la victime, et posé la question du suicide en prison. La pendaison, lundi 4 avril, de Romain F., ex-directeur d’école de Villefontaine (Isère) accusé d’actes de pédophilie, provoque elle aussi, à nouveau, la colère de parents de victimes, qui « attendaient beaucoup d’un procès », comme le souligne Me Patrice Reviron, avocat de six familles. Elle relance brutalement les interrogations sur la prévention du suicide dans les enceintes carcérales françaises.

L’enseignant, soupçonné d’avoir imposé des fellations à des élèves d’école primaire, s’est pendu dans sa cellule de la maison d’arrêt de Lyon-Corbas. L’homme de 46 ans avait déjà tenté de mettre fin à ses jours. Il était, à ce titre, sous surveillance. Selon un syndicaliste de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP), une des rondes prévues cette nuit-là n’a pu être effectuée, faute de personnel. Une affirmation jugée « plausible » par le ministre de la justice, Jean Jacques Urvoas, interrogé mercredi 6 avril par RTL, qui a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative.

Quel est le taux de suicide en prison ?

Selon un rapport de l’Institut national d’études démographiques (INED), on décompte aujourd’hui sept fois plus de suicides dans les prisons françaises que dans le reste de la population. En 2015, 113 détenus ont mis fin à leurs jours. Un chiffre élevé par rapport aux cinq dernières années, durant lesquelles une baisse avait été constatée : en 2014, 93 détenus s’étaient suicidés.

Ces chiffres placent la France au rang des « mauvais élèves » à l’échelle européenne. Selon un rapport du Conseil de l’Europe publié en 2014, elle occupait la 5e place sur 47 pour le taux de suicide en prison. Il s’élevait en effet à 15,6 pour 10 000 détenus contre 7,7 en moyenne en Europe.

Parmi les facteurs de risque du suicide en détention figurent « la vulnérabilité liée à l’isolement » notamment pendant les périodes de placement en cellule disciplinaire, mais aussi la « gravité des faits reprochés » ou encore les périodes de détention provisoire, selon le rapport de l’INED.

Quels sont les moyens de prévention mis en place ?

En 2009, pour tenter de faire diminuer le nombre de suicides en prison, l’administration pénitentiaire s’était dotée d’un plan de prévention. Au centre de ses vingt mesures : « la formation des personnels à l’évaluation du potentiel suicidaire » des détenus, la lutte contre le sentiment d’isolement en quartier disciplinaire ou encore la création de « cellules de protection » avec, notamment, draps et vêtements déchirables pour éviter les pendaisons.

Autre mesure expérimentée depuis 2010 : les « codétenus de soutien ». Ces prisonniers aussi désignés par un sigle, les « CDS », sont chargés d’accompagner les prisonniers à risque. Sur la base du volontariat, après une formation de trente heures, ils doivent repérer parmi leurs codétenus ceux qui présentent un « comportement à risque » avant de les recevoir dans leur cellule pour leur apporter « un soutien psychologique ». Enfin, certaines cellules avaient été équipées de caméras.

Malgré ces mesures, « on tourne toujours à une centaine de suicides par an », regrette Michel David, psychiatre et président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire. « Certaines mesures sont contre-productives. Quand le personnel pénitentiaire fait des rondes pour surveiller, il réveille les détenus, des détenus qui ont souvent déjà des troubles du sommeil. Empêcher les gens de dormir, ça n’arrange rien. » Même constat pour les fameuses « cellules de protection », extrêmement anxiogènes selon le psychiatre.

Le manque de surveillants est-il à incriminer ?

Les effectifs du personnel surveillant ne sont pas en cause, selon Jérôme Massip, secrétaire général du Syndicat pénitentiaire des surveillants : « Oui, il y a un manque de personnel mais pas pour lutter contre les suicides. A moins de rester dans la cellule d’un détenu, on ne peut pas l’empêcher. Faire plus de rondes n’y change rien, même toutes les demi-heures. Une personne a le temps de suicider en 5 minutes. »

Pour M. David, « on ne pourra pas prévenir tous les suicides en prison » :

« C’est un endroit structurellement difficile : les détenus sont coupés de leur environnement, ont un avenir assombri et un sentiment de culpabilité. Il faudrait que la prison change beaucoup : qu’on recrée de petites structures, qu’il y ait plus d’activités, de contacts avec l’extérieur… Ou utiliser au maximum les alternatives à l’incarcération. »

La situation est d’autant plus difficile que la population carcérale est fragile : entre 20 % et 30 % des détenus souffriraient de troubles psychotiques (schizophrénie, maniaco-dépression, paranoïa, troubles bipolaires, etc.). Et selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch, leur prise en charge serait défaillante. « Dans la plupart des cas », ajoute-t-elle, les conditions de détention aboutissent « à une nouvelle détérioration de la santé mentale ».

Charlotte Belaich
Journaliste au Monde

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