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La mythique prison de la Santé vidée de ses détenus avant une large rénovation

En 1968, lorsque la construction de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne) s’achevait, il était déjà question qu’elle permette de vider la maison d’arrêt de la Santé de ses détenus.

Il aura fallu attendre plus de quarante-cinq ans pour que celle-ci ferme ses portes (jusqu’en 2019) afin d’effectuer des travaux de rénovation sur lesquels l’administration pénitentiaire ne souhaite pas s’étendre. A peine explique-t-on qu’il y aura huit cents places et que le patrimoine historique – essentiellement les murs d’enceinte et le quartier bas – seront conservés.

Les derniers détenus ont été transférés la semaine dernière. Direction les prisons de Fresnes et de Fleury-Mérogis pour la majorité. Conçue pour mille détenus, la Santé en a accueilli jusqu’à mille trois cents.

En 2006, trois blocs – les plus vétustes – ont été fermés, portant le nombre de personnes incarcérées à sept cents. Seul le centre de semi-liberté rénové récemment et qui accueille cent détenus restera en activité.

« CE NE SERA PLUS JAMAIS COMME AVANT »

La prison, elle, porte les stigmates d’une vie carcérale encore récente. Dans une cellule du quartier des particuliers plus connu sous le nom de « quartier VIP », quelques fleurs pas encore fanées finissent leur vie dans une canette de coca convertie en vase.

Au rez-de chaussée, dans une cellule du bâtiment dit de l’encellulement collectif, des draps défaits recouvrent un lit superposé. Sur les tables traînent encore des paquets de brioche, un cendrier et ses mégots. Au mur, le poster d’une pin-up chevauchant une grosse cylindrée scotché sur un mur sale et abîmé a résisté au déménagement.

Les nombreux téléphones portables – normalement interdits – retrouvés lors d’ultimes fouilles sont stockés dans des cartons avant d’être détruits.

Autour de l’une des cours de promenade depuis laquelle on perçoit les bruits de la ville, des ballons crevés jonchent les barbelés qui encerclent l’établissement. Un panier de basket sans arceau est planté dans le béton.

Mais c’est le silence qui frappe. Seul résonne dans les divisions vidées de ses occupants habituels le cliquetis des clés manipulées par les surveillants encore en poste. « Ça ne sera plus jamais comme avant », souffle une chef de détention, qui reconnaît vivre cette fermeture comme définitive.

CELLULES DÉGRADÉES

Lors d’une visite en 2009, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue avait estimé que les cellules étaient dans un état de délabrement avancé.

Couvrant 2,8 hectares du 14e arrondissement à Paris, entre la rue de la Santé, la rue Messier, la rue Jean Dolent et le boulevard Arago, l’établissement, construit en 1867, ne permettait plus d’accueillir les détenus selon les règles de sécurité et de dignité dictées par l’Europe.

Incarcéré pendant une semaine à la Santé pour complicité de vols en 1911, Guillaume Apollinaire avait écrit son désespoir :

Que je m’ennuie entre ces murs tout nus

Et peints de couleurs pâles

Une mouche sur le papier à pas menus

Parcourt mes lignes inégales

(...)

J’écoute les bruits de la ville

Et prisonnier sans horizon

Je ne vois rien qu’un ciel hostile

Et les murs nus de ma prison

Près d’un siècle plus tard, en 2009, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, écrivait dans son rapport de visite :

« Les personnes détenues partagent toutes des conditions de vie dégradées du fait de l’état délabré de la plupart des cellules. La dégradation affecte les murs, souvent décrépis et humides, les sols au revêtement défaillant ou absent, les sanitaires, la fermeture défectueuse des fenêtres, la température ambiante. »

Il ajoutait que les détenus s’étaient plaints à plusieurs reprises lors de sa visite d’avoir « le sentiment d’être "traités comme des chiens" ou comme des "sous-hommes" » .

« LA SANTÉ A UNE ÂME »

C’est une page qui se tourne dans l’histoire carcérale française. Celle de la Santé est riche des spasmes d’une société qui a toujours peiné à penser l’emprisonnement.

De la guerre contre les quartiers de haute sécurité menée par l’illustre Jacques Mesrine au témoignage choc de Véronique Vasseur, médecin chef de la Santé, décrivant l’immonde et la violence, la prison de la Santé a été critiquée à de multiples reprises, cristallisant parfois les maux des prisons françaises.

Pour autant, il existe une certaine nostalgie parmi les personnels à voir l’établissement fermer ses portes. Dans son bureau de directrice qu’elle a occupé sept ans, Sylvie Manaud-Bénazéraf explique pourquoi « la Santé a une âme » et qu’« il faut qu’elle garde son identité ».

La prison a été conçue selon un plan en panoptique qui permet à un gardien posté dans une tour centrale d’observer les détenus autour de lui, sans que ceux-ci puissent savoir s’ils sont surveillés. Une vision disciplinaire, analysée notamment par le philosophe Michel Foucault, « qui a finalement permis de placer le dialogue au cœur de la détention », explique Mme Manaud-Bénazéraf.

« Le principe des nefs, de la covisibilité entre les personnes détenues et les surveillants crée une dynamique et une proximité essentielles pour apaiser les tensions inhérentes à l’univers carcéral. Le système d’ouverture des portes n’est pas électrifié, décrit-elle. Il faut systématiquement un surveillant pour les ouvrir. Au final, c’est un peu plus de présence humaine pour les détenus. »

Jean-Marie Delarue expliquait lui aussi avoir été témoin « de réelles solidarités mises en œuvre pour favoriser la vie quotidienne : préparation en commun des repas, achat groupé de produits cantinables, discussions ».

UNE PRISON DANS LA VILLE

Avec la fermeture de la prison de la Santé, c’est aussi le dernier établissement francilien situé au cœur de la ville qui baisse pavillon.

« C’est important que les établissements pénitentiaires soient visibles, explique Mme Manaud-Bénazéraf. C’est crucial aussi pour les avocats et surtout les familles des personnes détenues, qui peuvent venir voir leur proches avec moins de difficultés. »

Cyrille Canetti, psychiatre et chef du service médico-psychologique régional depuis cinq ans au sein de l’établissement, ne dit pas autre chose.

« Personnels, partenaires, personnes détenues, on a tous vécu ça avec un serrement de cœur, d’autant que le travail mené avec les équipes de direction était fait en bonne intelligence. » A la Santé, « on avait parfois l’impression que les gens se promenaient. Il y avait une ambiance presque familiale ».

Difficile d’imaginer que l’endroit a été occupé par les nazis pendant la deuxième guerre mondiale. Difficile de penser qu’en 1972, l’on y pratiquait encore des exécutions dans la cour d’honneur où aujourd’hui certains surveillants viennent faire une pause cigarette.

Ce fut le cas de Roger Bontems et de Claude Buffet, auteurs d’une tentative d’évasion durant laquelle les otages avaient trouvé la mort. L’avocat Robert Badinter avait alors pris la défense de Roger Bontems, révolté qu’il soit condamné à la peine capitale alors qu’il n’avait pas tué.

DE LA VIOLENCE ET DES SUICIDES COMME AILLEURS

« Il ne s’agit pas d’en faire un petit paradis », tempère le docteur Canetti qui, en 2010, a été pris en otage plus de cinq heures par un détenu désireux d’intégrer une autre prison pour se rapprocher de sa famille.

« Il y a, comme ailleurs, des conflits et de la violence. » Il évoque les cinq suicides de détenus qu’il a eu à connaître pendant son passage, comme autant d’événements traumatisants et ne nie pas l’état de vétusté avancé.

« Il y avait la même urgence à rénover quand je suis arrivé il y a cinq ans, mais dans l’administration pénitentiaire, l’urgence est toujours différable. Les cellules sont très dégradées. On pouvait s’en rendre compte en hiver quand la pierre tombait à cause du gel. Mais une certaine souplesse du personnel a permis de compenser l’état de vétusté de la maison d’arrêt. »

Une souplesse à laquelle s’est ajoutée une relative stabilité des personnels de la prison.

« Il y avait par ailleurs des malades qui n’ont pas leur place ici. Quand un homme arrive au quartier de semi-liberté et qu’il confond le plan de Sainte-Anne et le plan de Paris, il est clair qu’il doit être pris en charge ailleurs », déplore M. Canetti.

L’administration pénitentiaire, elle, poursuit son travail de communication. A la rentrée, la maison d’arrêt de la Santé devrait être ouverte au public à l’occasion des journées du patrimoine. « Il est important que le corps social assume ses prisons », explique Mme Manaud-Bénazéraf.

Simon Piel

>> http://www.lemonde.fr/societe/artic...
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