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"La prison est toujours l’école du crime"

Xavier Lameyre, 56 ans, vice-président chargé de d’application des peines au tribunal de grande instance de Paris, enseigne la criminologie et la pénologie à l’université Paris-II depuis douze ans. Il est l’auteur de l’ouvrage Le Glaive sans la balance (Grasset, 224 p., 17 euros), un petit livre incontestable qui rassemble toutes les données chiffrées de la politique pénale du dernier quinquennat et s’inquiète de sa "démesure pénale". Il clôt sa réflexion en citant Corneille : "Votre sévérité sans produire aucun fruit / Seigneur, jusqu’à présent a fait beaucoup de bruit."

Pourquoi les peines-planchers vous paraissent-elles emblématiques de la politique pénale de Nicolas Sarkozy ?

La loi du 10 août 2007, qui impose l’emprisonnement quasi automatique des auteurs récidivistes, a inauguré le quinquennat de Nicolas Sarkozy sous le signe d’une revanche. Elle a été imposée par les tenants du tout-carcéral contre ceux qui, bien que partisans d’une politique sécuritaire, défendaient le principe constitutionnel de la personnalisation des peines.

Dominique Perben, garde des sceaux lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur, s’est vigoureusement opposé à lui sur ce point. Cette loi porte tous les stigmates de la démesure de la pénalisation de notre société. A chaque événement criminel médiatisé, une nouvelle loi pénale est votée, en urgence donc sans véritable débat parlementaire, avec pour seul souci l’affichage de peines de prison toujours plus élevées.

La prison ne contient-elle pas la récidive ?

La prison est considérée comme l’unique moyen de lutte contre la récidive, alors que toutes les études menées depuis une vingtaine d’années, principalement dans les pays anglo-saxons et scandinaves (en France, elles sont plus rares), prouvent l’inverse. C’est l’aménagement des peines et les peines exécutées en milieu libre qui réduisent la récidive. Pourtant, le pourcentage de peines d’emprisonnement (ferme ou avec sursis), déjà très élevé, s’est accru en 2008, atteignant 96 % des condamnations.

Les entrées en prison, qui étaient de 86 600 en 2006, sont passées à 90 300 l’année suivante. Avec les peines-planchers, les juges emprisonnent davantage, et pour plus longtemps : la durée moyenne d’incarcération, de 8,3 mois en 2006, est passée à 9,8 mois en 2011.

Qu’entendez-vous par démesure pénale ?

C’est la prolifération incessante des "armes" pénales sans diminution réelle de la délinquance. Depuis une vingtaine d’années, la politique pénale se caractérise par une impressionnante inflation : toujours plus d’infractions créées, toujours plus de circonstances aggravantes inventées et toujours plus d’emprisonnements prononcés, toujours plus longs.

Dans le nouveau code pénal, voté en 1992 et entré en vigueur le 1er mars 1994, pour une incrimination supprimée, neuf autres ont été créées. Aujourd’hui, il y a tellement d’infractions disséminées dans tous les codes et dans de multiples textes que le ministère de la justice est incapable d’en connaître le nombre exact, même à un millier près ! A cela s’ajoute le recours permanent aux circonstances aggravantes.

Un cas précis ?

J’ai eu à juger un lycéen, majeur, qui avait giflé, dans un bus scolaire, l’un de ses jeunes camarades qui l’avait insulté à cause de la couleur de sa peau. La gifle avait provoqué un jour d’incapacité totale de travail (ITT). J’ai dû expliquer au jeune homme, qui était convaincu de s’être défendu à bon droit, qu’il encourait sept ans de prison !

En effet, le coup avait été donné alors qu’ils se trouvaient tous deux dans un moyen de transport collectif (première circonstance aggravante), alors qu’il faisait partie d’un groupe qui avait participé à la dispute (deuxième circonstance aggravante) et dans lequel un mineur l’avait aidé à repérer l’insulteur (troisième circonstance aggravante). Cette démesure pénale se retrouve dans tous les domaines...

Lesquels par exemple ?

Une part de la délinquance routière, créée de toutes pièces depuis quelques années, touche désormais une population qui n’est pas d’habitude composée de délinquants. C’est le cas de cet artisan plombier qui a perdu tous ses points de permis, un à un, avec des petits dépassements de vitesse. Il n’a pas pris le temps de faire un stage pour les récupérer. Continuant à travailler, il a été contrôlé avec un permis invalidé. Il a été condamné à de l’emprisonnement ferme pour récidive. L’application d’une peine-plancher l’a fait automatiquement écrouer.

Cette pénalisation générale des comportements a entraîné une énorme augmentation des condamnations. Quatre cent mille jugements correctionnels ont été rendus en 2002, 600 000 en 2008 : 50 % de plus en six ans !

Cette répression est-elle efficace ?

Absolument pas. L’idée simple selon laquelle il y a plus de gens en prison parce qu’il y aurait plus de délinquance est fausse. En France, les délits et les crimes constatés ne cessent de décroître : 51,7 pour mille habitants en 2001, 34,8 pour mille en 2010, alors que la population carcérale atteint chaque mois de nouveaux records.

C’est tout sauf efficace : les statistiques établies à partir du casier judiciaire ont montré, par exemple, que 76 % des personnes incarcérées pour violences volontaires sont à nouveau condamnées dans les cinq ans suivant leur libération - éventuellement pour un autre délit. Les courts passages en prison ne protègent pas contre la réitération des délits, ils l’augmentent au contraire. Or, 80 % des détenus passent moins d’un an en prison, et 61 % moins de six mois. La prison est toujours "l’école du crime".

Une réforme du système carcéral vous semble-elle indispensable ? Il nous faudra une révolution culturelle et une invincible détermination politique pour transformer un ordre pénitentiaire qui n’a maintenant plus de sens. Il faut radicalement renverser la logique actuelle.

La probation doit passer avant la prison. Cette révolution peut être accomplie sans augmentation de budget, avec un changement complet de proportions. Au 1er janvier, 4 000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP) étaient en charge d’environ 230 000 personnes (173 000 personnes libres et 57 000 personnes sous écrou), alors que 26 000 gardiens surveillaient quant à eux près de 74 000 personnes. C’est-à-dire qu’il y a un personnel de surveillance pour moins de trois écroués, et un de probation pour plus de 57 personnes.

La prison ne serait-elle plus la peine par excellence ?

Il est urgent de changer de politique pénale et de ramener la prison à sa juste place répressive. Si les trois quarts des patients d’un hôpital en sortaient porteurs de maladies nosocomiales ou rechutaient peu de temps après leurs soins, laisserait-on longtemps ouvert cet hôpital ?

Aujourd’hui, on pourrait rapidement vider les prisons de quelque 20 000 personnes détenues pour des peines inférieures à un an (la moitié l’étant pour des peines inférieures à six mois). Elles auraient pu être condamnées, par exemple, à une "contrainte pénale communautaire", une peine de probation défendue par le criminologue Pierre V. Tournier. Inventée par la Révolution française, supplantant progressivement les fers puis le bagne, la prison moderne n’est devenue une peine de référence que dans le code pénal de 1810.

Deux siècles plus tard, il n’est pas déraisonnable d’imaginer que, pour les infractions les plus courantes et les moins graves, la probation, le travail d’intérêt général ou le port d’un bracelet électronique deviennent les peines de référence d’un Etat de droit soucieux de la dignité des personnes.

Propos recueillis par Franck Johannes

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