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La rétention de sûreté, un dispositif peu appliqué et toujours très contesté

Jeudi 5 novembre, Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, a rendu un avis paru au Journal officiel recommandant la suppression de cette mesure. Pour elle, la rétention de sûreté est « une mesure qui est complètement contraire aux principes fondamentaux de notre droit pénal ».
Qu’est-ce que la rétention de sûreté ?

La rétention de sûreté est un dispositif permettant de placer en centre médico-judiciaire les prévenus ayant purgé leur peine mais dont la dangerosité est jugée importante. Comprendre par là que la probabilité d’une récidive est jugée élevée.

La rétention permet donc de maintenir une privation de liberté pour des personnes ayant déjà purgé leur peine de prison. Elle ne concerne que les individus condamnés pour des crimes à des peines de quinze ans ou plus et ne s’applique que dans le cas où la cour d’assises a expressément prévu cette option de rétention dans sa décision.

Pour juger de la notion de « dangerosité » introduite par la loi, une commission pluridisciplinaire examine le dossier du détenu au moins un an avant sa libération. Ce dernier est placé au minimum six semaines dans un service spécialisé chargé d’évaluer son comportement.

Si la probabilité de récidive de l’individu est jugée importante, la commission rend un avis motivé à la juridiction régionale de la rétention de sûreté (composée d’un magistrat, du préfet de région, d’un psychiatre, d’un avocat et d’un représentant d’une association de victimes).

Dans le cas contraire, le dossier est transmis au juge d’application des peines afin qu’il statue sur une éventuelle surveillance judiciaire.

Combien de détenus concernés depuis 2008 ?

Cette réforme du code de procédure pénale introduite par la loi du 27 février 2008 et voulue par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a pour objectif de prévenir la récidive pour les crimes les plus graves (meurtre, torture, acte de barbarie, viol, enlèvement, séquestration).

Depuis son entrée en vigueur, 49 mesures de surveillance de sûreté ont été prononcées. La surveillance de sûreté consiste surtout à suivre les personnes libérées dont on estime qu’elles peuvent récidiver. Le juge peut ainsi ordonner une assignation à domicile, des injonctions de soins ou un suivi sociojudiciaire. En 2012, le ministère de la justice précisait que la plupart de ces mesures concernaient majoritairement des auteurs d’infraction à caractère sexuel.

Pour ce qui est des rétentions de sûreté, seules cinq ont été prononcées depuis sept ans. Les cinq individus ont été pris en charge au centre social, médical et judiciaire de Fresnes (Val-de-Marne), adjacent au centre pénitencier du même nom.

Un bilan bien maigre pour l’une des mesures phares de la politique pénale de Nicolas Sarkozy, qui peut s’expliquer notamment par l’opposition du Conseil constitutionnel au principe de rétroactivité de la loi. Puisque la loi, entrée en vigueur en 2008, exige que les cours d’assises prévoient la rétention dans leur verdict et ne s’applique qu’aux peines de 15 ans ou plus, les premières rétentions ne sont pas attendues avant 2023. Les cinq rétentions de sûreté appliquées entre 2011 et 2015 l’ont été pour des personnes mises sous surveillance de sûreté mais n’ayant pas rempli les obligations dont ils devaient s’acquitter.

Pourquoi la rétention de sûreté est-elle critiquée ?

La rétention de sûreté a été fortement critiquée car elle revient à priver de leur liberté des personnes pour des crimes qu’elles n’ont pas encore commis mais dont on juge qu’elles pourraient les commettre. En cela, beaucoup de détracteurs de cette mesure ont fait le rapprochement avec la fiction de Philip K. Dick, Minority Report (1956), dans laquelle les individus sont condamnés avant même d’avoir commis un crime.

Un principe qu’Adeline Hazan juge « contraire » aux principes du droit pénal français. « Soit la personne a de graves troubles psychiatriques, et dans ce cas elle doit être hospitalisée, soit ce n’est pas le cas et on ne peut pas l’enfermer. »

Celle qui a succédé à Jean-Marie Delarue à l’été 2014 explique par ailleurs au Monde que les personnes qui font l’objet d’une rétention de sûreté n’ont aucune prise en charge. « Ils ont moins de droits que les détenus et moins de possibilité d’activités. Et les textes permettent de renouveler indéfiniment les périodes de rétention de sûreté. »

Adeline Hazan cite l’exemple d’une personne dont la rétention de sûreté a duré plus d’un an parce qu’elle refusait de se soumettre à une expertise psychiatrique. Pour la contrôleuse générale, la privation de liberté est injustifiée : « Ce n’est parce que l’on refuse une telle expertise que l’on est dangereux ! »

Même si la suppression de la mesure faisait partie des promesses de campagne de François Hollande, Mme Hazan reconnaît que « le climat sécuritaire actuel pose un problème. »

En mars 2014, mission a été confiée à Bruno Cotte, ancien président de la chambre criminelle de la Cour de cassation et président de chambre à la Cour pénale internationale, de réfléchir à une réforme des peines, dont les mesures de sûreté. La commission Cotte devrait rendre ses conclusions à la chancellerie à la fin de l’année 2015.

Gary Dagorn
Journaliste au Monde

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