La santé « carcéralisée » : gestion de soi et chronicité pénitentiaire

À partir d’une recherche menée de l’intérieur de la prison, l’étude des pratiques temporalisées de santé des personnes durablement privées de liberté suggère une baisse progressive de l’investissement du corps chez une relative majorité de détenus rencontrés. Cette érosion de l’attention faite à un corps – propriété de soi – paraît relever d’une conjugaison synergique négative entre, d’une part, les mécanismes de résistance aux effets du temps carcéral et, d’autre part, les réalités composites et directes de l’environnement pénitentiaire sur le vécu du corps. Les facteurs de ce « carcéralisme » débutant nous paraissent agir dès la maison d’arrêt, du fait des conditions péjoratives de vie rencontrées et de l’incertitude d’avenir renvoyant à la gestion obligatoire du présent. Accentuée par la durée habituelle de cette période, puis confirmée en centre de détention après échec de la confrontation au réel de ce lieu, la tendance à l’hibernation du corps relève tout autant d’une soumission défensive que d’une impuissance à contrôler son devenir dans les conditions pérennes de l’enfermement. La distance progressive observée entre le souci du corps et la gestion du moral au quotidien paraît, à terme, un facteur évolutif péjoratif de la santé en milieu carcéral.