Carceropolis, voir autrement la prison
Bandeau Voir autrement la prison
Qui sommes-nous ? | Le projet | Newsletter

Par thème :

RECHERCHE

Le tabou de la violence en prison

Un documentaire de France 5 se penche sur le silence qui entoure les violences exercées en milieu carcéral.

C’est un tabou aussi tenace à l’intérieur des prisons qu’en dehors des murs. Aussi marginale soit-elle, la violence exercée par certains surveillants envers des détenus reste le secret le mieux gardé de l’administration pénitentiaire. Et très rares sont ceux qui ont choisi de briser l’omerta.

Eric Tino était jeune surveillant à la prison de Liancourt (Oise), en 2006, quand deux de ses supérieurs se sont mis à tabasser un détenu devant ses yeux. Il se souvient encore du numéro de cellule, des gants enfilés par les matons et du visage tuméfié de la victime sur laquelle ils se sont acharnés. La scène est d’autant plus choquante que l’équipe n’en est pas à son premier carton. Au sein de l’établissement, certains leur ont même trouvé un surnom : les « SS ». « Est-ce que j’ai bien fait d’en parler ? » s’interroge Eric Tino face à la caméra de Laurence Delleur.

Au cours des mois suivant sa dénonciation, le surveillant est devenu la bête noire au sein de l’établissement, essuyant appels anonymes et menaces de mort. Pensant faire œuvre de salubrité publique, il s’est brusquement retrouvé dans la peau du traître qui balance. Ses deux supérieurs seront finalement reconnus coupables et condamnés à quatre mois de prison avec sursis. Etrangement, pourtant, cette mention n’apparaît pas sur leur casier. Dix ans plus tard, non seulement les deux hommes continuent d’exercer, mais ils ont même été promus.

Le témoignage d’Eric Tino est l’un des plus troublants du documentaire de France 5, qui donne aussi la parole aux victimes de ces violences, souvent passées sous silence. Un ancien détenu raconte comment il a été plaqué contre le mur lors d’une fouille avant d’être jeté par terre, le crâne écrasé contre le sol et l’oreille en sang. A la fin d’un parloir, un autre s’est retrouvé en « cube », les bras menottés aux jambes derrière le dos, traîné dans cette position sans parvenir à reprendre son souffle. Un troisième a été jeté en caleçon dans la cour de la prison, par un froid glacial. Certains en ont gardé des lésions irréversibles.

Longtemps, ces affaires ont été étouffées par la loi du silence. Mais ces dernières années, les langues ont commencé à se délier et les plaintes se sont multipliées contre des surveillants accusés de maltraitance. A la prison de Nancy-Maxéville, sept détenus ont saisi la justice. A Fleury-Mérogis, ils sont huit à avoir fait de même. La plupart de ces plaintes restent en sommeil ou sont classées sans suite. Le reste du temps, elles aboutissent à des jugements peu sévères, des amendes ou des courtes peines avec sursis. Accusée d’être indulgente envers les surveillants déviants, l’administration pénitentiaire préfère insister sur les violences dont sont victimes les matons, parlant pour le reste de « dysfonctionnements dans les pratiques professionnelles ». Difficile pour l’institution de clouer au pilori ses matons, éléments essentiels de la gestion carcérale, dont les tâches sont difficiles et ingrates.

Au-delà des rares affaires jugées, une question lancinante traverse tout le documentaire : combien de détenus ont été maltraités par leurs gardiens sans avoir l’idée, la faculté ou le courage de déposer plainte ? Dans un monde en huis clos et sans témoin, il semble bien difficile d’y apporter une réponse.

Emmanuel Fansten

>> http://www.liberation.fr/france/201...
Carceropolis, le site
Découvrez le site carceropolis.fr
la plateforme multimédia pour voir autrement la prison.


Aidez Carceropolis, donnez en ligne
Soutenez Carceropolis en faisant un don en ligne.