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Pour une révolution culturelle dans l’institution judiciaire

Les déclarations de la garde des sceaux sur le sens de la peine, sur l’irrationnel qui préside a l’acceptation d’un système pénal fondé sur la prison ont l’immense intérêt de lever la chape de plomb pesant sur nos débats dans le domaine de la sécurité ! Le coût économique élevé de la prison, son impact négatif sur les taux de récidive, la destruction morale et physique subi par les personnes et les familles, la structuration de nos quartiers pauvres autour de la prison de telle manière que près d’un jeune de moins de 25 ans sur quatre la connaîtra sont des constats sidérants. Ils ne suscitent que peu de débats, si ce n’est la recherche d’une humanisation des prisons qui encourage les plans de constructions à venir.

La prise de position de Christiane Taubira conduit à deux réformes majeures, l’une sur l’organisation interne de la "chaîne pénale" qui coûte près de 20 milliards d’euros par an pour des résultats insatisfaisants, l’autre sur la mise en place d’une politique de prévention cohérente et financée.

Sans entrer dans le détail de ces réformes, la responsabilité des juges se pose dans cette augmentation constante des détentions et leur usage inadéquat des peines dont ils disposent. Le précédent pouvoir, en multipliant les incriminations pénales, en imposant aux juges le recours à des peines planchers a sa part de responsabilité, mais seulement une part. Et les réformes à venir doivent tenir compte du rôle des magistrats, celui du parquet comme celui des juges du siège.

Les membres du parquet disposent toujours du pouvoir considérable de l’opportunité des poursuites et de celui d’orienter dans certaines limites les affaires vers une des nombreuses voies judiciaires existantes. Ils ont renoncé à ce pouvoir cédant aux injonctions de la chancellerie qui a fait du taux de poursuite l’alfa et l’oméga de la carrière réussie d’un procureur. Toute affaire doit avoir une réponse pénale ! Doit-on maintenir ce principe inscrit dans aucun texte légal ou reconnaître que des réponses civiles peuvent apporter des réponses satisfaisantes ?

Mais comment encourager des magistrats indépendants à travailler autrement ? Comment suggérer une qualification juridique de certains faits pour ne pas multiplier les peines de prison au moment du jugement ? Comment imposer à ces procureurs de choisir la voie de la médiation pour de nombreux litiges ? L’usage de circulaires pour encourager les changements de pratiques apparaît bien faible comme outil de gouvernance.

Les juges du siège n’ont en principe de dialogue avec le pouvoir exécutif que par le biais des lois. Il est nécessaire de revoir notre code pénal et son échelle des peines dont le sens est perdu pour tout le monde, travail, long, sans effet immédiat. Une autre approche plus immédiate recourt à la ruse, elle consiste à dire au juge que s’ il veut prononcer telle peine, il sera contraint de vérifier que certaines conditions sont réunies, et que cette vérification se fera par écrit en répondant à un certain nombre de questions. Ce qui est attendu est une réflexion plus profonde sur la nature de la peine. La loi peut aussi décider que toute personne condamnée à de la prison doit être munie d’un protocole de réinsertion pour entrer en prison. Préparer la sortie rendra la peine plus efficace.

Une autre stratégie plus bouleversante implique une certaine forme de participation du corps social à l’élaboration de standards pour l’action des juges. Elle présente les avantages de s’adresser à l’ensemble du corps des magistrats, mais aussi de pouvoir intégrer des avis en provenance de la société civile comme celle des sociétés savantes. C’est celle qui est suivie par les magistratures anglo-saxonne qui ont recours à des conférences de consensus.

Suivant des procédures très rigoureuses, une opinion majoritaire accompagnée des positions minoritaires est émise à partir de situations fréquemment rencontrées dans le quotidien des tribunaux. Ces procédures peuvent se dérouler de manière très transparentes et contribuer aussi à la qualité du débat public. Les juges restent libres d’appliquer les conclusions de ces conférences, mais ils savent que le risque de censure de leur décision est important. Cette stratégie redonnerait du sens à notre système de peine, mais surtout pourrait servir à l’éducation citoyenne, à l’apprentissage de la loi.

Enfin, dernier axe pour infléchir les positions des juges, celui de la réforme de leur formation. Si les juges ont des fonctions particulières dans le processus du droit, ils ont une communauté d’esprit, d’intérêt avec tous ceux qui reçoivent mandat de la République de faire respecter les règles du bien commun dans les domaines du social, de l’économique et de la finance. Les contenus de formation doivent se rapprocher avant de redonner une spécificité à chacune des professions concernées. Le résultat attendu est de mieux faire jouer aux juges leur rôle de veille sociale plutôt qu’un rôle d’habiles techniciens.

Les juges seront-ils au rendez-vous de cette révolution culturelle nécessaire pour que l’institution judiciaire soit partie-prenante des rendez-vous qui attendent notre pays ?

Michel Marcus, magistrat honoraire, expert en sécurité urbaine

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