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Prison de Clairvaux : Mutinerie hors les murs

La fermeture de la maison centrale, annoncée en avril par le garde des Sceaux et prévue pour 2022, provoque un tollé chez les agents pénitentiaires comme parmi les élus locaux.

« Celui qui ouvre une prison doit savoir qu’on ne la fermera plus », disait Mark Twain. Le romancier américain « avait tort », a estimé Jean-Jacques Urvoas. Le 27 avril, dans un discours adressé aux diplômés de l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (Enap), le garde des Sceaux a annoncé la fermeture de la maison centrale de Clairvaux, dans l’Aube, au profit de la future prison de Troyes, qui doit ouvrir ses portes en 2022. « Tous ceux qui connaissent l’état de vétusté et de dégradation de Clairvaux, construit sur le site d’une abbaye en 1804, me comprendront », a-t-il déclaré.

Pas vraiment… Car c’est plutôt un tollé qui a suivi cette déclaration inattendue. Dès le lendemain, une soixantaine d’agents pénitentiaires bloquaient la centrale, soutenus par le député-maire (LR) de Brienne-le-Château, Nicolas Dhuicq. L’affaire a pris de l’ampleur et le village de Bar-sur-Aube, sous-préfecture voisine, a accueilli un défilé d’hommes politiques venus soutenir les manifestants. Dont, entre autres, Philippe Richert, le président (LR) de la région Grand-Est, Florian Philippot, vice-président du Front national, François Baroin, le maire LR de Troyes, ou encore Nicolas Dupont-Aignan, député de l’Essonne et candidat à la présidentielle (Debout la France). « La prison de Clairvaux n’est pas vétuste, comme l’a dit le ministre, et respecte les normes. J’ai rarement visité un établissement aussi bien entretenu », s’emballait même ce dernier sur son blog. Sans aller jusque-là, l’argument du ministre est réfuté par ceux qui ont longtemps vécu entre ses murs, comme Frédéric Stoll, délégué régional du syndicat FO Pénitentiaire, en poste depuis 1995 à Clairvaux. « Ce n’est pas vétuste, ou alors il faudrait fermer 50 % des prisons de France », s’agace-t-il.

« Pas bien entretenus »

Le débat sur l’avenir de l’établissement n’est pas nouveau : en 2010, lorsque Michèle Alliot-Marie était garde des Sceaux, la prison se trouvait déjà sur la sellette. Une étude prévoyait, à l’époque, 70 millions de travaux de réhabilitation. Contestant tout acte irréfléchi, Jean-Jacques Urvoas a pointé « les difficultés que cumule cet établissement » (taille des cellules en dessous de la norme, problème d’assainissement, d’électricité, de sécurité, d’hygiène, d’accès aux soins…) tout en acceptant de faire à nouveau évaluer le coût d’une rénovation. « Ce sont de grands bâtiments, construits à la fin des années 60, qui n’ont pas bien été entretenus et qui coûtent cher, explique Virginie Bianchi, ancienne directrice. Le balancier politique a donc longtemps oscillé entre rénovation et fermeture, sans qu’aucune décision ne soit prise. »

Surveillant de père en fils

Le 15 juin, le ministre a pourtant définitivement tranché, devant une délégation d’élus locaux reçus Place Vendôme, bilan financier à l’appui. Selon le rapport très attendu de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij), la rénovation de la centrale coûterait « entre 38 et 50 millions d’euros », une facture considérée comme trop élevée et peu opportune par le ministère, à l’heure où l’administration doit faire face à la surpopulation carcérale. Jean-Jacques Urvoas a néanmoins infléchi sa position initiale en octroyant un délai de cinq ans, qui devrait permettre de « lisser » les effets de la fermeture dans le temps, et de réaffecter les personnels dans des établissements avoisinants (Chaumont, Troyes, Nancy, Bar-le-Duc, Nogent-sur-Seine, Auxerre, Joux-la-Ville, Dijon). Sans parvenir, cependant, à calmer la grogne.

Au lendemain de la sentence, Frédéric Stoll se dit « dégoûté », « anéanti ». « C’est la mort lente et certaine de Clairvaux et de la région, s’insurge-t-il. Les conséquences économiques vont être dramatiques. » Avec 199 employés pour 128 détenus (et 198 places), la prison occupe en effet une place importante dans le tissu local, déjà miné par de nombreuses fermetures d’entreprises, telles que la Cristallerie royale de Champagne de Bayel, au printemps. La prison s’impose donc comme l’un des derniers bastions. D’autant qu’à Clairvaux, on est surveillant de père en fils. « C’est ainsi que l’on a assisté au fil des années à la mise en place de "dynasties" de personnels de surveillance », notait le contrôleur des lieux de privation, dans son rapport de 2009. Pour preuve, l’une des familles les plus emblématiques a laissé son nom au quartier d’isolement, baptisé « la Villa Suchet ».

A la suite de l’annonce de la fermeture, un groupe « Gardez ouverte la centrale de Clairvaux » s’est constitué sur Facebook, réunissant 752 membres, dont beaucoup font partie du personnel. « Même si la centrale de Clairvaux est pour moi chargée de douloureux souvenirs, je suis de tout cœur avec vous, tenez bon, vous êtes une famille qui s’accroche et ne lâche rien », écrit ainsi la fille d’un des surveillants assassinés lors d’une mutinerie.

Cet attachement de la profession à l’établissement, qui peut paraître singulier, s’explique également par l’histoire des lieux. Clairvaux est une prison mythique, la plus vieille de France, qui abrite tout un pan de l’histoire carcérale. L’abbaye cistercienne, fondée par saint Bernard en juin 1115, a été transformée en gigantesque prison par Napoléon Ier, au XIXe siècle, lorsque la peine de privation de liberté a vu le jour. Trois mille détenus, femmes, hommes et enfants, s’entasseront dans les geôles. Victor Hugo, dans son roman Claude Gueux, du nom de cet ouvrier contraint de voler pour se nourrir avant d’être incarcéré, décrivait ainsi : « Clairvaux, abbaye dont on a fait une bastille, cellule dont on a fait un cabanon, autel dont on a fait un pilori. » La prison accueillera dans ses célèbres « cages à poules », ces cellules exiguës aux portes de fer, d’illustres prisonniers comme Philippe d’Orléans, fils aîné du prétendant au trône de France, le prince Kropotkine, révolutionnaire russe, ou encore Guy Môquet, résistant français.

A partir de 1971, les prisonniers quittent le cloître pour rejoindre la maison centrale bâtie sur les fondations de l’église médiévale. Derrière les barreaux de Clairvaux ont ainsi séjourné des membres du FLN et de l’OAS, puis des terroristes basques, corses ou islamistes. Parmi eux, Boualem Bensaïd et Smaïn Aït Ali Belkacem, reconnus coupables des attentats du RER B à la station Saint-Michel en 1995. Le terroriste Carlos, le tueur de l’Est parisien Guy Georges ou encore Youssouf Fofana, le chef du « gang des barbares », y ont également été incarcérés.

Pétition de détenus

En quarante ans, la maison centrale de Clairvaux est ainsi devenue la prison des fortes têtes, des longues peines et des cas difficiles. « Certes, Clairvaux coûte cher à entretenir, mais faut-il uniquement tenir compte de l’argument financier ? C’est surtout une centrale sécuritaire qui fonctionne bien et qui connaît bien moins d’incidents que les autres », explique Virginie Bianchi.

Une pétition de détenus refusant de quitter les lieux aurait même circulé dans les coursives… avant d’atterrir entre les mains du garde des Sceaux, « choqué ». D’ici cinq ans, ces derniers devraient en effet être répartis dans les autres maisons centrales de France.

En attendant la fermeture, le ministère envisage tout de même de mettre la main à la poche : un budget de 10 à 16 millions d’euros doit servir pour « des mises aux normes ». Une démarche paradoxale ? Le garde des Sceaux a expliqué aux élus réunis Place Vendôme qu’il n’y avait pas le choix. Le rapport remis par l’Apij comprend « une désagréable surprise » : « Une longue énumération des failles de sécurité de l’établissement. » Derniers travaux, donc, avant fermeture. A moins que le successeur de Jean-Jacques Urvoas n’en décide autrement en 2017.

Julie Brafman

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