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Prisons, centres de rétention, gardes à vue... : la France peut mieux faire

Le Comité européen pour la prévention de la torture, des peines ou des traitements inhumains ou dégradants (CPT) a rendu jeudi 19 avril son rapport sur la France, le premier depuis 2006, si l’on excepte une visite en Guyane. Le Comité a été créé en 1989 par les quarante-sept pays du Conseil de l’Europe. Une délégation de huit membres, tous étrangers, s’est rendue en France entre le 28 novembre et le 10 décembre 2010 pour visiter six commissariats français, une brigade de gendarmerie, deux centres de rétention, deux établissements pénitentiaires et trois hôpitaux psychiatriques.

Ce regard européen sur l’état des libertés en France est nuancé mais éclairant, quoique moins systématique que les rapports rédigés depuis 2008 par les équipes de Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté.

En garde à vue, des flaques de sang coagulé

Il y a du mieux dans les conditions de garde à vue en France, mais beaucoup de progrès restent à faire, notamment en termes de confort matériel. Et le ministère de l’intérieur n’en a pas toujours les moyens. Le CPT estime toutefois que la loi du 14 avril 2011, qui impose la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue, ne va pas assez loin - il s’inquiète notamment de la possibilité de différer l’arrivée du conseil.

Mais c’est sur les conditions de détention qu’il est le plus sévère, et que le gouvernement, dans ses réponses, reste le plus flou. Le Comité note, même dans les commissariats les plus récents comme à Lille ou à Rouen, des "locaux d’une saleté repoussante (flaques de sang coagulé au niveau du sol, vomissures séchées sur les bat-flancs, etc.)", "un froid ambiant et l’impossibilité d’obtenir une couverture, voire un matelas". Dans les plus anciens, le CPT souligne "la taille réduite (4,5 m2), et même très réduite (2,5 m2) de certaines cellules". Il cite également le cas de cellules hors service, "sans que les réparations appropriées soient réalisées (faute de financement)".

En prison, des visites médicales dans des conditions "très préoccupantes"

Le Comité a visité deux établissements très différents, la vieille maison centrale de Poissy, et le centre pénitentiaire duHavre, ouvert en 2010. Il en profite pour s’interroger "sur l’utilité" de la construction de nouvelles prisons, alors qu’il s’agit théoriquement de "développer les mesures alternatives à la détention". Le Comité n’a pas relevé de mauvais traitements en prison et s’inquiète seulement "d’un usage excessif de la force" au Havre, dû "au manque d’expérience de la majorité des surveillants".

Les détenus placés à l’isolement, même si "les conditions matérielles étaient globalement acceptables", ont très froid (ils se servent de la plaque de cuisson comme chauffage d’appoint) et ne peuvent accéder que 45 minutes par jour à une cour de promenade de 20 m2 auHavre, mais pas les week-ends. Le Comité s’inquiète du fait que les détenus particulièrement surveillés sont réveillés toutes les heures, chaque nuit, à chaque ronde de surveillant.

Il fait apparemment froid partout, même dans les cellules de 8 m2 du détenu moyen, à Poissy aussi, où l’administration est pingre quant aux conditions d’hygiène (deux rouleaux de papier hygiénique par mois) et la nourriture maigre : "Le CPT invite la direction de la maison centrale de Poissy à vérifier les quantités de nourriture [fournies par la société Eurest] servies aux détenus." Il n’est toujours pas question d’avoir une cloison dans les toilettes des cellules occupées par plusieurs détenus - "aucune norme pénitentiaire ne fixe cette obligation", répond froidement le gouvernement.

Côté médical, il faut attendre deux mois à Poissy pour consulter un psychiatre et, faute de personnel, on distribue les médicaments pour plusieurs jours, notamment les substituts aux opiacés, "cette pratique engendrant manifestement un trafic de médicaments entre les détenus". Les consultations à l’hôpital se passent enfin dans des conditions "très préoccupantes". La majorité des détenus sont menottés et entravés lors des extractions médicales. L’un d’eux, à Poissy, "a fait l’objet d’une coloscopie [une exploration du rectum], menotté et (contre l’avis du médecin) en présence de quatre membres des forces de l’ordre", un autre "d’une échographie des testicules" dans les mêmes conditions.

Pire : à Poissy, deux détenus sont handicapés, dont un sur une chaise roulante, qui passe "vingt-quatre heures sur vingt-quatre au lit ou en fauteuil roulant". Il ne peut pas sortir de sa cellule, "les portes étant trop étroites pour permettre le passage d’un fauteuil roulant et les cellules étant trop petites (8 m2) pour qu’un détenu puisse s’y mouvoir en fauteuil roulant".

Le contrôleur général des lieux de privation de libertés avait visité Poissy un an et demi plus tôt et déjà jugé la situation de ce détenu "indigne" : il avait dénoncé à peu près tout ce que le CPT a relevé. Pour le détenu handicapé, il y a eu cependant un progrès : "Le mitigeur eau chaud-eau-froide a été déplacé vers le bas afin de pouvoir être actionné de façon autonome par un détenu handicapé", relève avec fierté l’administration.

En centre de rétention, inquiétude sur les zones d’attente ad hoc pour les étrangers

Le CPT a visité deux des vingt-neuf centres de rétention administrative (CRA), ceux de Vincennes et de Rouen-Oissel. Un regard extérieur rare sur ces lieux où la presse est interdite, mais où sont enfermés les étrangers en situation irrégulière en instance d’éloignement, pour une période pouvant aller jusqu’à quarante-cinq jours.

De cette visite dans deux des plus gros centres, le CPT tire un bilan nuancé, moins sombre que celui des associations qui sont autorisées à y entrer. Il note par exemple que, malgré le manque de "chauffage", les conditions matérielles sont "globalement bonnes" à Vincennes. Ou que les chambres sont de "dimensions satisfaisantes" à Rouen.

A l’inverse, à Rouen-Oissel, les retenus se plaignent "d’attitude ou de propos méprisants" et de "désœuvrement". Contrairement à Vincennes, où il existe une salle de jeux avec baby-foot et jeux vidéo, les retenus n’ont rien d’autre à faire que regarder la télévision.

La principale préoccupation du CPT concerne cependant les "zones d’attente ad hoc". Ce dispositif n’a, pour l’heure, jamais été utilisé, mais est rendu possible par la loi sur l’immigration de juin2011. Il permet de retenir dans un lieu fermé - qui n’est pas un CRA - tout groupe de dix étrangers ou plus, surpris en train d’entrer en France de façon illégale par un autre point qu’un poste de douane. Or les textes sont flous sur l’accès au droit dans ces zones.

>> http://www.lemonde.fr/societe/artic...
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