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Prisons : quand comprendra-t-on qu’elles n’entravent pas la délinquance ?

Jean-Marie Delarue, contrôleur des prisons, vient de rendre son 5è rapport alors qu’une grande loi pénale doit être proposée et votée, courant printemps 2013. L’occasion pour Arnaud Gaillard, sociologue, de revenir sur le rôle de la prison dans la récidive et sur l’utilité même de cette peine, qu’il faudrait remettre en question.

La publication du rapport annuel sur les lieux privatifs de liberté et les réflexions portées par la chancellerie autour des sorties conditionnelles représentent deux actualités propices à dénouer des amours étranges entretenus par la société française avec l’institution prison. Le fantasme ambiant tendant à considérer l’incarcération comme un remède adapté aux nombreuses désobéissances qualifiées derrière la sacro-sainte notion de sécurité, affronte une fois de plus, un débat critique susceptible de l’effriter.

Courage(s)

Il faut du courage politique pour dénoncer l’idée que la prison n’est et ne sera jamais une solution idéale pour soigner les maux de notre société, le crime en l’occurrence, et son amère complice, la récidive. Il faut de l’ambition pour dénoncer le paradigme qui tend à voir dans l’organisation de la souffrance, en l’occurrence par la privation des libertés et le stockage des êtres au cœur d’établissements où règnent l’indignité, l’injustice, la violence, comme autant d’occasions de régression, une réponse nécessairement efficace aux multiples formes de délinquance, petites et grandes.

Il faut du courage intellectuel pour désamorcer les sentiments de vengeance, qui ne manquent pas d’alimenter les opinions publiques, écartant le remède pénal de ses objectifs de réinsertion lorsqu’il s’agit de punir sans réparer. Il faut aussi de l’honnêteté pour reconnaître qu’il est des situations où l’enfermement carcéral, cette "détestable solution" dont parlait Michel Foucault, ne peut être évitée. Le débat actuel représente l’occasion de faire taire des mensonges, celui de la coercition salvatrice pour la société, faussement omnipotente lorsqu’elle est utilisée comme une réponse pénale prioritaire.

L’enfermement, une peine de dernier recours

Débarrasser le concept pénal du concept aussi absurde que dangereux de "tolérance zéro", qui justifie outre-atlantique et ailleurs, la mise à mort des criminels, constitue un risque politique. Les accusations de laxisme et d’angélisme ne vont pas manquer pour critiquer une fois encore des avancées pénales qui n’arborent pas, de principe, le visage de la coercition. Le vrai débat est pourtant bien autour de ce mot. Faire œuvre de pédagogie pour expliquer aux électeurs que la prison, telle qu’utilisée depuis de longues années, est une solution préjudiciable pour la société entière, est un pari lancé quant à la capacité des français à comprendre autre chose, à penser autrement.

À l’heure où toutes les études, nationales et internationales, attestent que la récidive se combat par l’accompagnement social, le débat ouvert à la suite du rapport du Contrôleur général des lieux privatifs de liberté sur les prisons, constitue l’occasion d’avouer les égarements passés et présents tout en ouvrant une fenêtre optimiste sur une autre manière, pragmatique avant d’être idéologique, de concevoir la politique pénale.

La prison n’est pas un remède

Personne ne peut ignorer que vivre en société requiert le maintien de liens sociaux, une structure mentale, psychologique et culturelle, mais aussi des conditions concrètes, notamment économiques, pour vivre et survivre au dehors dans le respect de la légalité. Pendant ce temps, la prison écarte les enfermés de ce dehors où l’on ambitionne de les réinsérer. Leurs vies affectives, sexuelles et professionnelles sont brisées par la durée des peines.

Depuis les fondateurs de la prison, on sait que les établissements pénitentiaires sont des institutions où la délinquance s’apprend, se ressource et s’amplifie. Offrir l’enfermement comme un remède généralisé à la société, c’est en quelque sorte prescrire un médicament qui tue. La population doit entendre les connaisseurs du monde carcéral, les criminologues et les pénalistes, leur faire confiance lorsqu’il s’agit de trouver des solutions innovantes à des attentes, légitimes, en terme de respect de la loi. Il serait lâche de capituler devant la capacité de nos concitoyens à modifier leurs opinions en matière de réponse pénale, qui ne peut se résumer à l’idée de sanction.

Les investissements économiques sur lesquels le gouvernement ne peut faire l’impasse ne doivent pas être concentrés dans la construction de murs toujours plus hauts et plus nombreux. Au contraire, drainer la population pénale vers un accompagnement requiert des investissements humains qui permettent de penser la politique comme une manière de dessiner des horizons là où nous sommes habitué à des pansements législatifs ponctuels satisfaisant une politique du chiffre, de l’immédiat et de la communication.

C’est à la société toute entière de comprendre que l’intérêt commun consiste à utiliser la prison comme une solution de dernier recours. C’est à dire, à l’encontre de l’imposture contemporaine du "tout prison", et à l’instar des recommandations internationales qu’on aurait tort d’ignorer. Ayons l’honnêteté d’admettre que l’inflation carcérale n’est pas la solution mais plutôt le problème. C’est aussi ce que nous apprend la folie de l’enfermement de masse observable dans des ailleurs dont nous serions bien avisés de ne pas nous inspirer.

Par Arnaud Gaillard
sociologue et réalisateur

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