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Travail en prison : que font les détenus et combien gagnent-ils ?

Le Conseil constitutionnel a jugé vendredi conforme à la Constitution la législation actuelle encadrant le travail en prison. Quelque 16 000 détenus travaillent aujourd’hui, parfois pour presque rien.

Une fiche de paie : 56 heures effectives de travail… Et tout en bas, dans la case « salaire » : 78 euros net. Cette personne travaille bien en France de manière légale, elle cotise même si elle n’aura pas de retraite, ni droit au chômage, vu ses faibles revenus. Cherchez l’erreur. Elle bosse, oui, mais en prison. Le droit du travail en milieu carcéral est quasi inexistant.

Pour mettre un coup de pression, 375 universitaires, dont de nombreux professeurs de droit, avaient signé il y a dix jours une pétition réclamant la mise en place « d’un droit du travail pénitentiaire tenant compte des spécificités carcérales ». Mais vendredi matin, « le Conseil constitutionnel a jugé les dispositions contestées conformes à la Constitution », indique l’institution dans un communiqué.

Pour qui travaillent les détenus ?

En tout, environ 16 000 détenus travaillent, sur les quelque 67000 personnes incarcérées en France. Beaucoup plus aimeraient avoir un emploi, ou du travail de manière plus régulière, mais les places sont rares. C’est très variable d’une prison à l’autre. Et les détenus n’ont pas leur mot à dire. Ils peuvent juste dire s’ils désirent travailler. Le directeur de la prison est libre d’accepter ou pas, sans avoir à se justifier. Et de choisir le poste.

Il y a d’abord les emplois pour faire tourner la prison elle-même : en cuisine, à la plonge… Comme coiffeur, ou encore des petits travaux de peinture, de plomberie ou d’électricité. Tout dépend de la politique du chef d’établissement, et de « l’enveloppe » budgétaire dont il dispose, explique Marie Cretenot, juriste à l’Observatoire international des prisons. « Les chefs d’établissement se battent pour avoir l’enveloppe la plus élevée possible, car plus les détenus sont occupés (et donc travaillent), plus ils sont calmes. » Environ 8000 détenus travaillent ainsi pour le « service général ».

Deuxième source d’emploi, venant cette fois de l’extérieur : des entreprises privées et quelques établissements publics, comme l’Ina (institut national audiovisuel) pour la restauration d’archives. Dans la grande majorité, il s’agit d’entreprises dans le secteur industriel, souvent pour des tâches de manutention peu qualifiées : plier des prospectus, les ranger dans des caisses. Des petits travaux d’assemblage, aussi.

Dans une poignée de prisons, il existe des emplois un peu plus qualifiés, et intéressants, comme à la prison de Muret, près de Toulouse, où les détenus participent à la construction de moteurs d’avion. Quelque 7000 détenus travaillent aujourd’hui pour des entreprises privées, mais le nombre va en déclinant. Pourquoi ? « Des postes souvent remplacés par des machines, et puis les entreprises ont tendance à délocaliser dans des pays étrangers, car il y a moins de contraintes, notamment le temps d’inspection des camions aux entrées et sorties de prison », indique Marie Crétenot. Il y a un autre frein à l’emploi en prison. Les entreprises n’assument pas, en termes d’image. « Vu les conditions dans lesquels elles emploient… Elles ne vont pas s’en vanter… » La plupart du temps d’ailleurs, les grandes marques passent par des sous-traitants, histoire de brouiller les pistes.

Combien sont-ils payés ?

Des clopinettes. Marie Crétenot a en tête des exemples de fiches de paie ahurissantes. Comme celle-ci : 78 euros pour 56 heures de travail. En moyenne, un détenu touche 337 euros par mois pour un temps complet. Tout dépend de l’emploi occupé. Par exemple, au « service général », la moyenne est à 254 euros ; à 408 quand l’employeur est une entreprise privée. La loi pénitentiaire de 2009 (l’unique en fait) a posé le principe d’un taux horaire, fixé par décret : une personne détenue doit être payée entre 20% et 45% du smic horaire brut. « Mais dans les faits, ce décret n’est pas respecté, c’est l’un des problèmes, pointe l’OIP. Souvent, les détenus sont payés à la pièce, et donc peu importe le temps passé. C’est en principe interdit mais cela subsiste. » Comme ces détenus qui travaillent dans leur cellule, sans limite, le jour et la nuit.

Quel est le statut de ces travailleurs incarcérés ?

Ils n’ont pas de contrat de travail. « En soit, le fait de ne pas avoir de contrat de travail n’est pas contraire aux droits fondamentaux si une alternative existe, explique Nicolas Ferran, également juriste à l’OIP. Par exemple, les fonctionnaires n’ont pas de contrat de travail en tant que tel, mais leurs droits sont garantis. Tout dépend de ce qui est proposé à la place. »

En l’espèce, l’article 33 de la loi pénitentiaire de 2009 confie aux chefs d’établissements le soin de réglementer les activités professionnelles de leurs détenus à travers « un acte d’engagement ». Et c’est sur cet article même que le Conseil constitutionnel doit se prononcer ce vendredi : « cet acte d’engagement » garantit-il le respect des droits sociaux élémentaires ? Dans l’état actuel de la législation, les détenus cotisent pour l’assurance vieillesse par exemple, mais ne touchent quasiment rien (vu le faible taux horaire). Pareil pour l’assurance chômage ou le versement d’indemnités en cas d’arrêt maladie ou d’accident du travail. « Ils ne peuvent non plus se prévaloir des règles encadrant les procédures de licenciement ou des droits syndicaux. Les détenus ne peuvent ni faire grève, ni se constituer en syndicat », énumère l’OIP. Dans leur tribune, les 375 universitaires interpellent : « Faut-il encore une fois rappeler que dans la peine d’emprisonnement, la seule punition prévue par la loi est la privation de liberté ? »

Par Marie Piquemal

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