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Ducos, la prison martiniquaise qui « peut exploser à tout moment »

Le député Jean-Philippe Nilor décrit la situation catastrophique dans le centre pénitentiaire de l’île. Ce jeudi, le tribunal de Fort-de-France doit se pencher sur le dossier.

Le tribunal administratif de Fort-de-France, en Martinique, examinera ce jeudi le référé-liberté déposé par l’OIP (Observatoire international des prisons), dénonçant la situation « indigne » dans le centre pénitentiaire de Ducos. Avec son taux d’occupation de 215%, cette prison (la seule de l’île) est régulièrement pointée du doigt par les associations, les parlementaires et les détenus eux-mêmes. Surpopulation, insalubrité, violences… la liste des griefs est longue. Jean-Philippe Nilor, député de la quatrième circonscription de Martinique (au sein du groupe Gauche démocrate et républicaine), explique pourquoi, à ses yeux, Ducos est devenu une « poudrière ».
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Qu’avez-vous constaté au centre pénitentiaire de Ducos lors de votre dernière visite ?

Je m’y suis rendu pour la dernière fois fin 2013, début 2014. J’y ai vu une situation insupportable, avec parfois cinq détenus dans 9m², avec deux lits superposés et un matelas au sol. Une promiscuité inacceptable, qui favorise les actes de violence entre détenus ou envers le personnel. Des armes circulent aussi dans la prison. Quant aux téléphones portables, n’en parlons pas. Les prisonniers comme les surveillants sont soumis à des conditions qui ne sont pas humaines. Aujourd’hui, Ducos est devenu une poudrière. Plutôt que d’agir comme correcteur des déviances, cette prison les aggrave. Les détenus sont obligés d’être durs, de se défendre par eux-mêmes. Cela crée un processus de « caïdisation ». Cet endroit est devenu une école du vice plutôt qu’un lieu de réinsertion, dont on sort dans un pire état qu’à l’entrée.

Quelle est la situation sanitaire ?

Tous les rapports sont accablants. Il y a des rats et des insectes dans les cellules. Quand on sait que la leptospirose, une maladie très grave, se transmet par l’urine de ces rongeurs, il y a de quoi s’inquiéter. Sans oublier l’état déplorable des installations électriques, qui pourrait provoquer des incendies. Je pèse mes mots : Ducos peut exploser à tout moment. Les agressions risquent de s’amplifier et un mouvement collectif des détenus n’est pas à exclure.

Ce constat est dressé de manière régulière depuis plusieurs années. Comment expliquer que les choses ne s’améliorent pas ?

Il faudrait interroger les ministres de la Justice successifs, de droite comme de gauche. Peut-être que la Martinique n’est pas la priorité de la politique gouvernementale. A 8 000 kilomètres de distance, les problèmes paraissent plus éloignés. Même l’augmentation de la capacité de la prison [qui passera de 570 à 730 places en 2015, ndlr] ne réglera pas l’extrême surpopulation des lieux. Cette mauvaise réputation dépasse désormais les frontières de la France. En mai dernier, la justice britannique a refusé l’extradition d’un homme suspecté de trafic de drogue au motif que les conditions de détention dans les prisons de Martinique et Guadeloupe sont inacceptables. En 2013, la Cour administrative d’appel de Bordeaux avait stigmatisé des « traitements inhumains et dégradants » à Ducos.

La garde des Sceaux, Christiane Taubira, a demandé en janvier 2014 aux autorités judiciaires de Fort-de-France de « dynamiser les aménagements de peine » pour lutter contre la surpopulation carcérale. Une bonne idée ?

Il ne faut pas les généraliser. La Martinique est un petit territoire, les victimes et délinquants sont amenés à se rencontrer, cela peut provoquer des actes de vengeance et créer un sentiment d’impunité. Ce qu’il faut avant tout, ce sont des moyens budgétaires pour une amélioration qualitative de la prison (entretien des locaux, matériel) et quantitative (nombre de places). Je suis même favorable à la construction d’un deuxième centre pénitentiaire, de plus petite taille, qui permettrait de soulager Ducos.

Dans un rapport de l’administration pénitentiaire de 2013, il était écrit que « le nombre des entrants en prison est supérieur au nombre des sortants » à Ducos. Comment expliquer cette situation sécuritaire tendue en Martinique ?

Il est vrai que les choses se dégradent. Je l’ai dit, la prison ne joue plus son rôle de réinsertion. Mais la délinquance et la violence se banalisent également. Cela touche une population de plus en plus jeune, de garçons comme de filles, ce qui est une nouveauté. C’est l’échec de la politique gouvernementale. Entre 2013 et 2014, les aides de l’Etat pour le budget de la mission jeunesse, sport et vie associative sont passées de 2,3 millions d’euros à 363 000 euros. Le discours de François Hollande, selon lequel la jeunesse serait sa priorité, n’est pas appliqué ici. Il ne faut pas s’étonner que les choses dérapent quand on laisse les bénévoles associatifs s’épuiser sur le terrain. Il me semble que c’est un mauvais calcul, car la société le paye ensuite beaucoup plus cher.

Sylvain MOUILLARD

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