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Enfant battu, délinquant et passé par la prison : comment j’ai réussi à m’en sortir

Enfant battu, délinquant, braqueur. Puis 6 ans de prison, dont il sort en 2002. Une épreuve dont il a su faire une force : Karim Mokhtari, porte-parole de Carcéropolis, raconte son parcours et les leçons qu’il en tire dans une autobiographie, "Rédemption, itinéraire d’un enfant cassé" (Scrineo), co-écrit avec Charlie Carle, dont Le Plus publie des extraits.

Et pourtant, malgré cette enfance de misère, malgré les erreurs de parcours et les souffrances de l’enfermement, une petite lueur a surgi au fond de moi. J’ai eu envie de m’en sortir. D’avoir une vie normale. Je voulais prouver au monde que je valais mieux que l’image qu’il se faisait de moi.

D’où vient le déclic ? A chacun son histoire, sa révélation. Le mien est venu essentiellement de mes rencontres.

Extrait : Partie 1, chapitre 4

Aux sessions d’informatique, Sébastien profitait du matériel disponible pour bosser sur un projet perso. Plusieurs fois, je le vis faire des retouches sur le logo d’une association qu’il rêvait de monter.

– FPFM ? demandai-je.

– Ouais. Fondation protectrice de la faune marine. C’est mon projet.

– C’est quoi, le délire ?

– Ben… moi, au départ, j’suis un amoureux des fonds marins, tu vois. J’ai déjà fait plusieurs fois d’la plongée, et j’ai jamais rien vu d’aussi beau que c’qu’y a là-dessous. Mais le truc, c’est qu’à cause de la pêche et de la pollution, la faune prend trop cher. Y’a de moins en moins de poissons, pour faire simple. Du coup le but du truc, c’est de trouver des fonds et faire des actions pour protéger la faune et sensibiliser les gens. J’voudrais aussi faire des films sur les fonds marins.

Il continua de m’expliquer son projet. Je l’écoutais avec fascination. J’avais jusqu’alors rencontré des passionnés de foot, ou de rap, ou de voitures, mais encore aucun passionné de faune marine. Et, sans pouvoir me l’expliquer, je trouvais la passion de Sébastien plus noble et plus intéressante que celle des autres. Jusqu’à présent, au quotidien, je n’avais pensé qu’à moi, mes problèmes, ma sécurité, ma bouffe et mes clopes. Sébastien, alors qu’il était enfermé entre les mêmes murs crasseux que moi, trouvait aussi le temps de penser à la protection des fonds marins. Il imaginait l’avenir. Il le préparait, même. Mieux encore, il cherchait à l’améliorer. Tout cela me semblait pourtant tellement loin…

– Tu crois vraiment qu’tu vas pouvoir faire tout ça ? lui demandai-je pour savoir s’il était vraiment convaincu ou s’il bluffait.

– Bien sûr !

– Mais… la prison ça va pas trop t’aider…

– Pff… au contraire ! C’qui manque, dans la vie normale, pour faire des projets, c’est du temps ! Ici t’as tout le temps qu’tu veux ! Tu peux même monter un projet pour aller sur Mars, si t’as envie !

D’autres que Sébastien m’ont également ouvert à la nécessité de donner un sens à ma peine, à préparer mon avenir, pour moins souffrir du présent. L’Islam a aussi joué un rôle important dans ma réparation. J’ai appris à pardonner à mes bourreaux, car j’avais moi aussi besoin qu’on me pardonne mes erreurs.

C’est également le fait d’être enfin condamné, après trois ans de détention préventive, qui m’a permis de me projeter dans l’avenir. D’une part, cela a donné à mon parcours un horizon, un but à atteindre, et d’autre part cela m’a permis d’être transféré dans un centre de détention, où les conditions de vie sont moins difficiles qu’en maison d’arrêt.

Extrait : Partie 2, chapitre 2

Depuis presque six mois que je vivais enfin dans un centre de détention, je n’arrivais toujours pas à accepter complètement l’idée de posséder la clé de ma propre cellule et de pouvoir naviguer librement dans la coursive. Pourtant, ce n’était pas la seule différence avec les maisons d’arrêt pouilleuses que j’avais connues.

À Nantes, prison issue du "plan 13.000", tout comme Laon, les cellules étaient récentes, donc propres et lumineuses. Une cloison séparait les toilettes du reste de la cellule. Un interphone permettait de contacter directement le surveillant, plutôt qu’en hurlant à travers l’œilleton. Dans la promenade, de larges pelouses permettaient aux détenus de se poser par terre. Quelques pins offraient même de l’ombre pendant l’été. Les sportifs pouvaient rejoindre une équipe sur un terrain de foot aux dimensions officielles, utiliser les nombreuses machines de la salle de musculation, ou bien s’entraîner à la boxe sur un vrai ring.

Les surveillants également se montraient avenants et coopératifs. Plus généralement, on sentait dans cette prison que le rapport entre les détenus et la pénitentiaire n’était pas aussi conflictuel que dans les maisons d’arrêt. Ici, au contraire, ils semblaient se faire confiance. Le règlement autorisait les prisonniers à plus de liberté de mouvement. En échange, ces derniers respectaient les lieux. J’avais même observé un jour, dans la promenade, un coureur passer devant moi en tenant dans sa main les pelures d’orange qu’il attendait de jeter dans une poubelle. Qui aurait eu le souci de ne pas salir la promenade dans les autres prisons que j’avais connues ?

Je vivais avec un bon ami, Mohamed, dans une cellule double. Nous l’avions aménagée aussi confortablement que possible, avec une table de fortune, trois chaises et quelques meubles bricolés. Un rouleau de tissu rapporté de l’atelier nous avait permis de fabriquer des rideaux. Aux murs, quelques dessins de Mohamed égayaient l’espace. Une vieille guitare posée contre le mur contribuait également à créer une atmosphère paisible. Pour la première fois de ma vie, je me sentais bien chez moi. Il fallait que cela m’arrive en prison. Quelle ironie…

Je songeais parfois à cette différence entre le moi d’aujourd’hui et celui d’avant. Qu’est-ce qui avait tant changé pour que j’arrive à enfin m’approprier ma cellule ? L’acceptation de ma peine, déjà. Les conditions de détention, qui n’avaient jamais été aussi bonnes. Et puis le temps. Le temps était mon ennemi autrefois, avant mon jugement. Chaque seconde passée était une seconde gâchée. Aujourd’hui, il était mon allié. Chaque seconde passée me rapprochait de ma liberté, de mes nouvelles perspectives de vie avec Ilkay, en société. La seule chose que je continuais de lui reprocher, c’était de ne pas passer assez vite.

Savoir que quelqu’un ou quelque chose vous attend dans le monde libre est essentiel pour garder la volonté de s’en sortir. Je savais que ma femme et ma famille comptaient sur moi. Je ne voulais pas les décevoir.

Une réinsertion réussie comporte aussi une part de chance. Dans mon cas, cette chance a été d’être embauché dans une association, Ateliers Sans Frontières, qui m’a ouvert les yeux sur le sens que je pouvais donner à mes actions.

Extrait : Partie 2, chapitre 4

Pour compenser cette fragilité que je ressentais sur le plan familial, je me jetais à corps perdu dans le travail. Ateliers Sans Frontières m’avait fait découvrir cette dimension incroyable, essentielle de la vie qu’était la solidarité. Je savais désormais que je ne pourrais plus composer sans elle dans mes choix.

Tout au long de ma vie, je n’avais connu que des spirales destructrices. Le mal appelle le mal. L’exclusion à se couper du monde. La discrimination à s’enfermer dans l’image qu’on nous renvoie.

Mais la solidarité, elle, n’appelait qu’à des choses positives. Elle ramenait chacun à son humanité fondamentale. Elle permettait de relier les hommes. Je t’aide, donc je m’aide. À ma connaissance, la solidarité était la seule arme assez puissante pour casser l’inertie, les schémas, les frontières, afin de mettre les gens en mouvement dans le bon sens.

6 années de prison m’avaient rendu aussi sec qu’un roc

C’était le plus grand enseignement du chantier sur lequel j’avais travaillé pour ASF pendant le mois précédent, au Sénégal. Cette expérience m’avait bouleversé. Des images restaient gravées dans ma tête. Les visages tristes des enfants talibés de Saint-Louis, qui m’avaient permis de relativiser la misère dans laquelle j’avais moi-même vécu. Leurs sourires, également, quand nous avions inauguré les trois plateformes multisports dont ils allaient désormais pouvoir profiter.

J’avais compris qu’il suffisait d’avoir un cœur et deux mains pour faire le bien autour de soi. La solidarité ne demandait qu’à exploiter ses ressources intérieures. Tout le monde le pouvait.

En ressentant à l’égard des enfants talibés de la compassion, de la tristesse et même de la révolte, je m’étais également prouvé que je pouvais encore avoir des émotions. Six années de prison m’avaient pourtant rendu aussi sec et impénétrable qu’une roche.

La solidarité me permettait de relativiser mes fautes

Je n’étais pas le seul à être revenu transformé du chantier au Sénégal. Aux Ateliers sans frontières, une énergie intarissable animait ceux qui y avaient participé. Pour eux, découper des planches et assembler du métal n’avait jamais eu autant de sens. Et, pour moi, les choses étaient devenues très claires.

La solidarité m’offrait tout ce dont j’avais besoin. Elle me permettait de relativiser mon passé, mes fautes et mes problèmes. De voir plus loin. Grâce à elle, je cesserais d’exister à travers ce que j’avais fait hier, pour exister à travers ce que je faisais aujourd’hui. Plus je m’y investirais, plus j’avancerais dans ma démarche de pardon. Et plus je me reconstruirais.

C’était l’équation parfaite. Et, au delà de cette réflexion froide, jamais je n’avais autant vibré qu’en me mettant au service des autres. Je voulais voir d’autres enfants démunis sourire, et le destin d’autres villages dans le monde s’améliorer.

J’ai longtemps cru que j’avais seulement le potentiel de nuire aux gens. Je sais aujourd’hui que je peux les aider, et que rien ne m’aidera plus à racheter mes fautes. C’est ce message d’espoir que je veux faire passer en racontant mon histoire dans mon livre, "Rédemption – Itinéraire d’un enfant cassé". L’homme est capable de changer. Mais c’est à nous, citoyens ordinaires, qu’il tient de favoriser de changement.

"Rédemption, itinéraire d’un enfant cassé", de Karim Mokhtari et Charlie Carle (Scrineo)

Édité et parrainé par Aude Baron

>> http://leplus.nouvelobs.com/contrib...
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