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Facebook en prison, la petite évasion

Nombreux sont les détenus connectés malgré l’interdiction des téléphones et le manque d’accès à Internet. Entre impératifs sécuritaires et droit à la vie sociale, la question divise.

« Dès que les cellules sont fermées, tout le monde navigue, lance, comme une évidence, Djibril (1), condamné pour trafic de stupéfiants. C’est surtout à ça que servent les téléphones. » De sa cellule dans une maison d’arrêt de banlieue parisienne, il raconte l’Internet des taulards, illégal par définition, sur lequel il passe plusieurs heures par jour, de la fermeture des cellules, à 17 heures, jusqu’à tard dans la nuit.

Tournée des réseaux sociaux, visionnage de clips et films sur YouTube, bavardage sur Snapchat, il y a de quoi faire. « D’autres vont sur les sites de jeux, genre poker, ou de rencontre. Des mecs sur Meetic ou Inchallah.com, j’en connais à l’intérieur ! », rigole-t-il. Mais le site roi, à l’entendre, c’est Facebook. Brahim (1), incarcéré pour braquage de 2008 à 2014, confirme. « A mon arrivée, les gens n’étaient pas trop sur Internet. Les téléphones, oui, mais pas Facebook. Par contre, vers 2012, les détenus s’y sont mis. » Sous pseudo pour la plupart.

A l’époque, Brahim n’est pas du genre à être accro aux likes. « J’étais très loin d’Internet avant le placard, raconte-t-il. Mais quand tu vois tes collègues pendant la promenade qui causent de l’extérieur, des tendances, des filles, tu deviens un peu jaloux. » Il se dégotte alors un iPhone et ouvre un compte. Sa vie change. « Le soir quand t’es dans ton lit, les lumières éteintes, t’as l’impression d’être chez toi. Tu parles avec tes potes, tu dragues, tu regardes les photos de vacances de la famille. Tu vois les gens évoluer. Tu n’as pas besoin de demander au dernier arrivé des nouvelles de l’extérieur. Tu as tout. Et quand tu sors, t’es pas largué. »

Et puis il y a aussi « toutes les meufs fascinées par les voyous, qui postent “bon courage” sur les profils de mecs qu’elles ne connaissent même pas », raconte Djibril. Selon ce trentenaire qui multiplie les allers-retours en prison depuis ses 19 ans, « la première chose que l’on fait quand on arrive, c’est de se chercher un téléphone ». Ils « entrent » par le parloir ou « par projectiles », par-dessus les murs. Et c’est sans compter ceux déjà disponibles à l’intérieur, dont le prix varie si « la prison est une passoire ou non. A Fleury-Mérogis, un iPhone peut coûter 800 euros, alors qu’à Fresnes, c’est 200 », détaille Djibril. Quid des abonnements ? « Soit on me fait passer une carte SIM au parloir, au nom d’un ami. Soit c’est les recharges du bureau de tabac, avec forfait Internet illimité. Ça peut monter jusqu’à 150 euros par mois. »

En 2014, 27 524 téléphones ont été saisis par l’administration pénitentiaire, trois fois plus qu’en 2010, sur 76 000 détenus en France. « Depuis la loi anti fouille de 2009 (2), c’est open bar ! », fulmine Jean-François Forget, secrétaire général de l’Ufap-Unsa, premier syndicat des surveillants. Pour le syndicaliste, Internet est une boîte de pandore, où l’on se radicalise, organise des trafics, planifie des évasions. « Des surveillants sont régulièrement menacés via Facebook par des détenus, ajoute-t-il. Un Internet contrôlé, ça n’existe pas. Ce n’est clairement pas une priorité, et les téléphones encore moins. Il ne faut aucune tolérance. »

Pourtant, en off, nombreux sont ceux à assurer que le téléphone, comme le cannabis, assure une forme de paix sociale. Pour Laurence Blisson, juge d’application des peines et membre du Syndicat de la magistrature « le téléphone a un effet apaisant, il permet de supporter la promiscuité ».

Casse-tête

En juillet 2014, Adeline Hazan, la contrôleure général des lieux de privation de liberté, s’est prononcée, comme son prédécesseur, en faveur d’une introduction des portables en prison. Hors de question pour le ministère de la Justice, qui a promis en mars l’arrivée de nouveaux brouilleurs de réseaux d’ici à fin 2015. Le brouillage des télécommunications reste un casse-tête : au-delà de son coût difficile à assumer pour des prisons exsangues, c’est son réglage qui pose problème. Trop puissant, il perturbe les appareils de surveillance et les communications des gardiens, voire celles des riverains. Trop resserré, il est inefficace. Quant à l’accès à un Internet légal en prison, il est inexistant. Quelques initiatives isolées existent, mais à la limite de l’ubuesque, à l’image des rares programmes d’initiation au web qui se font sur simulateurs datés, hors connexion.

La problématique des réseaux sociaux en milieu carcéral fait irruption dans le débat public fin 2013. Des prisonniers du centre de détention de Montmédy, dans la Meuse, mettent en ligne deux clips sur la page Facebook d’un collectif de rap, dont un « harlem shake », concept viral du moment. En se mettant en scène dans un couloir de prison, sans surveillant en vue, les détenus font scandale et dévoilent au grand jour ce que, dans le milieu carcéral, tout le monde sait déjà : les détenus sont hyperconnectés, au parfum des codes et des modes du web. Un an plus tard, la direction des Baumettes, à Marseille, ordonne la fermeture d’un groupe Facebook géré de l’intérieur où les prisonniers s’affichaient avec des billets de banque et des joints.

« Ces posts Facebook sont vécus comme une provocation très violente par les surveillants, explique Léa Jeannin, du Syndicat national des directeurs pénitentiaires. Le plus souvent, c’est assez insignifiant, mais symboliquement, ça envoie un signal d’impuissance terrible. C’est pour ça qu’il y a un tel agacement des syndicats sur ces questions. » Ces pages Facebook gérées derrière les barreaux sont « sous une forme puérile et provocatrice, certes, une expression politique avec de réelles problématiques derrière. Ça ne plaît pas, car la pénitentiaire déteste toute expression collective. Surtout, Facebook rend visible la réalité carcérale », estime la juge Laurence Blisson.

On scrolle le long du mur Facebook de Djibril. On y voit des vidéos tournées à l’intérieur (un détenu se faisant tondre la boule à zéro assorti du commentaire « pour pas chère ta une coupe lol »), des messages festifs (« Bon Ramadan à tout mais frères enfermé dans les quatre coins de la France ») et un goût pour la télé-réalité. « Je passe une excellente soiré dans mon lit â regardé vos Snap », poste-t-il un soir. « Je suis pas dans la provocation, dit-il. C’est pour la famille, les gens qui m’attendent dehors. Facebook, c’est ce qui a remplacé le courrier. »

Le site a deux avantages par rapport aux lettres : il est gratuit et, surtout, il n’est pas relu ni retenu par l’administration. « Et puis tu peux communiquer entre détenus sans crier par la fenêtre », souligne Brahim. « Avec leurs portables, c’est la vie sociale de l’extérieur que les détenus tentent de reproduire, estime François Bès, coordinateur de l’Observatoire international des prisons. Les réseaux sociaux sont le moyen de communication le plus répandu. Les en priver, c’est les couper du monde. ça peut créer des bombes. Il faut réglementer l’accès au web, mais pas l’interdire. La prison, c’est la privation d’aller et venir, pas la privation de vie sociale. »

(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) Les fouilles à nu sont interdites depuis la loi pénitentiaire de 2009.

Guillaume Gendron

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