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Islam en prison : les aumôniers à la peine

RÉCIT En manque de moyens, l’aumônerie musulmane ploie sous les fortes attentes de l’Etat pour lutter contre la radicalisation des prisonniers. Le sujet sera, entre autres, au menu du raout organisé ce lundi au ministère de l’Intérieur.

Jamais Mohamed Loueslati n’avait imaginé qu’il mettrait un jour les pieds en prison. Les choses se sont faites comme cela, un peu malgré lui, parce qu’on est venu le chercher. « Au début des années 2000, l’administration pénitentiaire avait beaucoup de soucis avec les détenus d’origine musulmane, raconte-t-il. Il y avait des suicides, des refus de réintégrer les cellules, de la viande halal jetée par-dessus les murs pour les prisonniers. On ne parlait pas à l’époque de radicalisation mais d’islamisation. » A Rennes, pour trouver un aumônier, le directeur du centre pénitentiaire avait alors pris contact avec l’association musulmane qui gère l’une des mosquées de la ville, située boulevard du Portugal. Parmi ses fondateurs, il y avait Mohamed Loueslati, qui avait accepté « pour rendre service à la communauté ». Quinze ans plus tard, retraité après avoir travaillé chez un assureur, il se retrouve même aumônier régional des prisons pour le Grand Ouest. Avec sous sa responsabilité 20 établissements sur 12 départements, 6 000 détenus qu’il décrit comme « majoritairement musulmans » et une vingtaine d’aumôniers. Face à la montée de la radicalisation, l’enjeu est important. Mais en prison, l’aumônerie musulmane doit se débrouiller avec peu de moyens.

Mohamed Loueslati appartient à la génération des pionniers, celle qui a tout vu, celle qui a inventé l’aumônerie musulmane des prisons avec trois bouts de ficelle. Officiellement, celle-ci n’existe que depuis 2006, créée sous l’égide du Conseil français du culte musulman (CFCM). « Je n’ai toujours pas de bureau, pas de frais de fonctionnement, raconte-t-il. Pour mes déplacements, je ne touche rien de l’administration pénitentiaire. En fait, c’est la préfecture d’Ille-et-Vilaine qui me les rembourse. » De ces pionniers, la sociologue Céline Béraud, qui a piloté pendant deux ans une enquête sur la religion en prison, dit : « Ils sont tout à fait remarquables dans leur engagement et complètement investis dans leur mission. » Surtout qu’il leur a fallu partir de zéro, improviser sur le terrain. A Rennes, Mohamed Loueslati a d’abord dû batailler avec la direction de la prison pour imposer le vendredi comme jour du culte pour les musulmans. « La direction voulait que nous fassions la grande prière le dimanche, comme pour la messe », dit-il. Ces pionniers ont dû convaincre aussi leur propre communauté. « Dans la théologie musulmane, le concept d’aumônerie n’existe pas », explique le pasteur Brice Deymié, aumônier national protestant des prisons, qui côtoie régulièrement ses homologues de l’islam, prenant la mesure de leurs difficultés. Il y a une vingtaine d’années, les chrétiens ont d’ailleurs donné un coup de main pour former les premiers aumôniers musulmans. Cette culture de l’aumônerie ne va pas encore de soi, reconnaît Mohamed Loueslati : « J’explique aux imams qui ne veulent pas m’aider qu’en islam, le captif a toujours eu des droits. »

Pas le temps

Par leurs revendications, ce sont surtout les détenus qui, en fait, ont imposé l’aumônerie. « Avant les attentats du 11 Septembre, l’ambiance était très différente, rappelle Brice Deymié. On voyait pas mal de musulmans dans les aumôneries catholiques et protestantes. La revendication identitaire, à cette époque, passait par un "Je suis maghrébin", non pas par une revendication religieuse. Un refus de fréquenter les chrétiens s’est peu à peu installé. » Avant 2006, des initiatives locales répondent au coup par coup aux demandes. « La montée de la radicalisation a accéléré le processus », souligne la sociologue Céline Béraud. De 2006 à 2015, le nombre d’aumôniers musulmans est passé de 69 à 176. « Nous sommes en période de rattrapage. Un effort majeur est réalisé », déclare Julien Morel d’Arleux, le sous-directeur de l’administration pénitentiaire. Il sort ses chiffres. En 2013-2014, 30 postes ont été créés. En 2015, l’administration pénitentiaire a encore mis la main à la poche pour en ouvrir 60 en deux ans. « En 2016, le budget alloué au culte musulman représentera la moitié du budget destiné à l’ensemble des aumôneries », précise Julien Morel d’Arleux. Chaque année, l’administration pénitentiaire y consacre environ 2,4 millions d’euros. Au total, 1 470 intervenants sont agréés (dont un tiers de catholiques) pour les sept cultes reconnus par le ministère de la Justice. Pour l’islam, l’effort est certes louable. Mais cela ne sortira pas l’aumônerie musulmane des prisons de sa grande misère. « La demande des détenus demeure importante », reconnaît le sous-directeur de l’administration pénitentiaire. A proximité des grands centres urbains, la majorité de la population carcérale est de confession musulmane et, chaque année, 18 000 détenus suivent le ramadan. « Il y a vingt ans, quand j’ai commencé, c’était très rare », raconte le pasteur Brice Deymié.

Armées et hôpitaux

Quelque 80 établissements n’ont aucun aumônier. Et il faudrait renforcer les équipes quasiment partout. A Rennes, Mohamed Loueslati voudrait au moins deux ou trois personnes supplémentaires. Parce que les aumôniers en poste n’ont pas le temps de répondre à toutes les demandes, de visiter les détenus dans leur cellule, de répondre au courrier, comme peuvent le faire beaucoup plus systématiquement les aumôneries chrétiennes et leurs bataillons de bénévoles, jeunes retraités pour la plupart. « Cela crée un sentiment de discrimination de la part des détenus de confession musulmane », pointe Julien Morel d’Arleux.

Malgré les besoins criants, l’aumônerie musulmane n’arrive pas à mobiliser, ni à recruter. « J’ai des candidats, explique Habib Kaaniche, aumônier régional en Paca. Mais ils veulent le faire par prosélytisme. » Le responsable ne le dit pas clairement, mais ceux qui se portent volontaires proviennent principalement des milieux les plus fondamentalistes. « Je cherche des personnes qui sont bilingues français-arabe et qui connaissent bien l’islam, précise de son côté Mohamed Loueslati. Ce n’est pas du tout évident d’en trouver dans les jeunes générations. » Les postes ouverts ces dernières années n’ont pas pu être pourvus et, pour faire face aux besoins, le temps de présence de ceux qui sont déjà en poste a été renforcé. Quant aux candidats potentiels les mieux formés et les plus diplômés, ils filent dans les aumôneries des armées et des hôpitaux où ils bénéficient d’un vrai statut, assimilé à celui des militaires ou des agents hospitaliers. « A l’aumônerie des prisons, on trouve souvent des personnes qui sont elles-mêmes en galère professionnelle », explique Céline Béraud. C’est le cas de Yanisse Warrach, aumônier à Alençon après avoir officié pendant trois ans à Nanterre : « Notre situation est très précaire. Beaucoup se découragent très vite et abandonnent dès qu’ils se marient. »

Les aumôniers musulmans de prison bataillent avec l’administration pénitentiaire pour obtenir un véritable statut et être salariés en bonne et due forme. Jusqu’à présent, ils sont rémunérés sous forme de vacations, sans aucune cotisation sociale, et touchent en moyenne à peine 400 ou 500 euros par mois. « Je n’ai même pas de retraite pour tout le temps que j’ai consacré à l’aumônerie », s’insurge Mohamed Loueslati, qui raconte son expérience dans un livre paru récemment (1). L’administration pénitentiaire, elle, résiste, arguant notamment du fait que les autres cultes ne le réclament pas. En fait, la configuration est très différente car les prêtres et les pasteurs sont, eux, rémunérés par leurs Eglises. L’aumônier national protestant soutient la revendication de ses homologues de l’islam. « Il faut trouver une solution innovante », plaide-t-il.

Wahhabite

Si c’est niet à l’administration pénitentiaire, cette question du statut fait cependant débat entre plusieurs ministères. Et il y a urgence. Ces derniers temps, les aumôniers musulmans des prisons subissent, comme le souligne Céline Béraud, « une pression folle ». Un peu malgré eux, ils sont placés aux avant-postes de la lutte contre la radicalisation. Du moins dans les discours politiques. Du coup, à l’intérieur des prisons, leur position est très délicate. « L’aumônier n’est pas là pour faire de la sécurité, se récrie Habib Kaaniche, mais pour établir une relation de confiance avec le détenu, pour être à son écoute. » Faire du « repérage » de radicalisés ou de futurs radicalisés ? « Nous sommes là pour protéger les détenus de ceux qui sont les plus radicalisés », corrige Mohamed Loueslati. Même s’ils rechignent à en parler, tous les aumôniers voient bien les tentatives d’enrôlement. « Le prosélytisme wahhabite [le salafisme venu d’Arabie Saoudite, ndlr ] est très puissant, raconte Yanisse Warrach. Les plus radicalisés ne sont pas très nombreux, mais ils exercent une pression permanente sur les autres. Cela se passe dans les cellules, dans les salles d’activité. Cela commence par des choses très banales, des remarques sur le fait de faire la prière, par exemple. S’il n’a pas d’aumônier avec qui discuter, le détenu qui subit ces pressions demeure dans le flou. » Encore lui faut-il en trouver un.

(1) L’Islam en prison, éditions Bayard.

Bernadette SAUVAGET

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