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L’abus de sécurité tue la sécurité

« Lorsque l’Etat répond à la violence par la violence, à la force par la force, il ne fait qu’alimenter les ressorts du terrorisme, et plus généralement de la délinquance », estime Sarah Dindo, de l’Observatoire international des prisons, qui pointe notamment les dangers de la répression abusive du délit d’apologie du terrorisme, et des incarcérations qui ont suivi.

Manuel Valls dit la France en guerre, annonce aux lycéens qu’ils devront s’habituer à vivre avec le terrorisme… C’est ainsi que l’Etat prépare la population aux mesures d’exception, celles qui rognent sur les droits fondamentaux, et fait admettre la légitimité de la violence d’Etat devant la gravité de la menace. Le tout avec l’aval d’une large majorité de sondés, prêts à renoncer à une part de liberté pour plus de sécurité. Et pourtant, n’a-t-on pas affaire à une nouvelle hypocrisie du politique visant à faire croire qu’il agit pour la population par des réponses simplistes et inefficaces ?

Le Premier ministre annonce la création de cinq quartiers pénitentiaires spécialement dédiés aux personnes détenues radicalisées, sur la base de l’expérimentation menée à Fresnes. Les alertes de spécialistes n’ont pourtant pas manqué. En regroupant ces détenus, on renforce leurs liens, au risque de les radicaliser encore plus, de favoriser la préparation entre eux d’actions terroristes, de les ériger en groupe d’opposants au sein de la détention… « Beaucoup ne se connaissaient pas avant, et entretiennent un rapport de confiance du fait des similitudes de leurs profils, au risque de créer un effet d’agrégation susceptible d’être extrêmement négatif dans la durée », indique le chercheur Farhad Khosrokhavar (L’Obs, 15/01/15). Dans un bilan de son expérimentation, le directeur de Fresnes lui-même observait en novembre 2014 que dès la première semaine de leur placement, les quelques vingt détenus concernés ont « été satisfaits de l’opportunité de se regrouper », puis en seconde semaine ils « ont pris conscience de leur existence en tant qu’entité et intégré la capacité que pouvait leur conférer la dimension collective pour asseoir leurs doléances ou réclamations ». Quand la pénitentiaire s’observe en train de fabriquer des bombes à retardement…

Surveiller large pour cibler petit

Le renforcement du renseignement pénitentiaire a aussi été annoncé, avec le recrutement de 66 personnels supplémentaires. Là encore, le risque de dérive dans la surveillance et le repérage des radicaux a été pointé. Les critères utilisés conduisent à considérer toute personne dont la pratique religieuse s’intensifie comme « à risque ». Ce qui contribue à « nourrir un phénomène de panique morale à la faveur de laquelle tout musulman un peu trop observant finit par devenir un terroriste en puissance » (Galembert, Rostaing, Beraud, GIP, 2013). Faut-il rappeler qu’une pratique religieuse intensive, voire sectaire, n’entraîne pas nécessairement d’action violente ? Va-t-on désormais suspecter, en prison et ailleurs, tout homme barbu et toute femme voilée ? Quel va être le prix à payer pour les musulmans de la surveillance généralisée ?

Une autre idée difficile à entendre sous le coup de l’émotion doit être rappelée à l’annonce des premières mesures du gouvernement. Lorsque l’Etat répond à la violence par la violence, à la force par la force, il ne fait qu’alimenter les ressorts du terrorisme, et plus généralement de la délinquance. Les effets des mesures d’isolement en prison ont été étudiés : perte de repères, déséquilibre psychique, accroissement des actes de violence contre soi et autrui… « Si on souhaite qu’une partie des détenus renonce à la violence, il faut les traiter avec humanité », plaide encore Farhad Khosrokhavar. Le phénomène est connu : plus les conditions de détention sont indignes, moins les détenus ont d’activités et de contacts humains, plus on génère de la violence et de la radicalisation. A-t-on interrogé les effets des conditions de détention à Fleury-Mérogis dans le parcours d’Amedy Coulibaly, alors qu’il a participé à diffuser en 2007 des images clandestines montrant la vétusté des locaux et la violence au sein de l’établissement pénitentiaire ?

La démesure en guise de justice

Dans un phénomène de prophétie auto-réalisatrice, le soupçon de radicalisme pesant sur certaines attitudes et pratiques religieuses risque fort de pousser davantage de personnes dans cette voie. Pressions et répressions abusives génèrent des sentiments de persécution et d’injustice, à l’origine de nombre de basculements dans la violence. En ce sens, la démesure judiciaire à l’œuvre depuis les actes terroristes des 7, 8 et 9 janvier ne manque pas d’inquiéter. Plus de personnes ont été condamnées pour apologie du terrorisme en trois jours qu’en vingt ans. La Chancellerie annonce le 20 janvier que 77 personnes ont été jugées en comparution immédiate pour de tels faits, parmi lesquelles 28 ont été condamnées à des peines de prison ferme dont 20 avec mandat de dépôt (incarcération immédiate). Après que des millions de personnes sont descendues dans la rue pour défendre la liberté d’expression, les juges incarcèrent pour des mots, certes choquants, mais que des mots. Quels dommages ont provoqué ces stupides vociférations ? En quoi la sécurité sera-t-elle renforcée par l’incarcération de leurs auteurs pendant quelques mois, soit le temps d’éprouver la révoltante condition de détenu et de côtoyer plus violent qu’eux dans des maisons d’arrêt surpeuplées ?

Va-t-on bientôt devoir attester de sa présence à la marche du 11 janvier ? Le chant de la Marseillaise va-t-il être rendu obligatoire à l’école, en prison ou lors des fêtes nationales ? Quand un Etat de droit se met à ressembler à un Etat autoritaire, il ne fait qu’accentuer sa disqualification auprès de ceux déjà laissés en marge de la société. Il perd encore de sa crédibilité en demandant au citoyen d’agir à l’inverse de lui : de manière plus rationnelle et plus raisonnable, respectant la loi et les valeurs républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité, sans exceptions.

>> http://blogs.mediapart.fr/edition/l...
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