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La contrainte pénale en cinq questions

Le texte de la réforme pénale est discuté à partir de mardi 3 juin à l’Assemblée nationale. A cette occasion, le premier ministre Manuel Valls a appelé l’opposition à cesser les « caricatures » sur un projet qui ne vise pas selon lui à « vider les prisons ». « Notre pays crève littéralement de ce genre de polémique », a-t-il déclaré lors des questions au gouvernement. Retour sur le dispositif de la contrainte pénale, une mesure-phare de la réforme Taubira.

Qu’est-ce que la contrainte pénale ?

La contrainte pénale est une peine de probation d’une durée comprise entre six mois et cinq ans exécutoire en milieu ouvert, c’est-à-dire en dehors de la prison. Elle soumet le condamné à un ensemble d’obligations et d’interdictions ainsi qu’à un accompagnement soutenu. Elle ne remplace aucune peine, toutes les autres peines-emprisonnement, amende - restent en vigueur.

Le ministère de la justice donne des exemples des obligations et des interdictions qui pourront être prononcées par un juge d’application des peines, après une évaluation de la situation par un conseiller d’insertion et de probation. « En relation directe avec l’infraction commise, les obligations peuvent être la réparation de dommages causés par l’infraction, l’obligation de suivre un enseignement ou une formation professionnelle, des traitements médicaux ou des soins, ou encore un stage de citoyenneté. »

Quant aux interdictions, « elles aussi en relation directe avec l’infraction », elles peuvent par exemple « empêcher la personne condamnée de conduire un véhicule, d’entrer en relation avec la victime, de fréquenter les débits de boisson, de se présenter dans certains lieux ».

Quel est l’objectif de la contrainte pénale ?

L’objectif annoncé est la prévention de la récidive, en évitant que des petits délinquants, condamnés à de courtes peines, ne ressortent au bout de six mois d’emprisonnement endurcis et aguerris au contact de délinquants plus chevronnés.

La contrainte pénale « s’inspire totalement de ce qui fonctionne pour les condamnés en termes de résultats contre la récidive et s’inscrit donc dans le réel efficace », estime dans une tribune publiée dans Le Monde Philippe Vouland, avocat au barreau de Marseille et codirecteur de l’Institut de défense pénale, pour qui « le tout-carcéral a vécu ».

Isabelle Gorce, la directive de l’administration pénitentiaire, dans un entretien au Monde le 6 novembre 2013, assure que l’on « croise en prison trop de gens incarcérés pour conduite en état alcoolique, conduite sans permis ou de petits vols, dont les raisons du passage à l’acte n’ont pas été traitées suffisamment en amont ».

« A un moment donné, faute de mieux, les tribunaux prononcent des courtes peines d’emprisonnement. Tout l’enjeu de la contrainte pénale, c’est de créer une peine qui permette d’éviter à ces gens un passage en prison tout en offrant un cadre très contenant ».

Qui sera concerné par la contrainte pénale ?

Le champ d’application de cette mesure a fait l’objet d’un vif débat entre la garde des sceaux Christiane Taubira d’un côté et le chef de l’Etat et le premier ministre de l’autre. Une solution de compromis devrait finalement être adoptée.

Durant une période d’expérimentation qui devrait courir jusqu’au 1er janvier 2017, le champ d’application de la contrainte pénale devrait être limité aux délits punis de cinq ans d’emprisonnement maximum (vol simple, dégradations, usage de stupéfiant, conduite en état alcoolique et délits routiers, violences, etc.), soit 80% des 600 000 condamnations annuelles pour délits. C’est la position de François Hollande et de Manuel Valls.

Puis, pour les faits commis à partir du 1er janvier 2017, la contrainte pénale pourrait être prononcée pour des délits passibles de dix ans de prison maximum. Une extension « nécessaire à terme pour des raisons de cohérence de l’échelle des peines et d’efficacité de la réponse pénale » qui répond aux souhaits de Christiane Taubira et de la commission des lois de l’Assemblée nationale.

Les crimes qui constituent les infractions les plus graves (viols, meurtres, vols à main armée… soit 2 500 arrêts de cour d’assises par an) sont exclus de la contrainte pénale. Les mineurs ne sont pas non plus concernés.

Selon l’étude d’impact, 8 000 à 20 000 contraintes pénales devraient être prononcées chaque année sur les 600 000 condamnations correctionnelles annuelles.

« Suivant la durée de la mesure, on peut estimer qu’entre 16 000 à 60 000 personnes seront suivies au titre de la contrainte pénale à un instant donné de manière renforcée trois ans après à l’entrée en vigueur de la réforme. »

Quelle différence entre la contrainte pénale et le sursis avec mise à l’épreuve ?

Condamner une personne à du sursis avec mise à l’épreuve, c’est la condamner à une peine de prison qui ne sera pas mise à exécution si elle respecte les obligations qui lui sont imposées. Mise en place en 1958, cette peine est la plus prononcée en France (160 000 par an).

Dans la mesure où les juges pourront incarcérer le condamné qui ne respecte pas ses engagements, la contrainte pénale se rapproche du sursis avec mise à l’épreuve (SME).

Le magistrat Serge Portelli, membre du syndicat de la magistrature (gauche), recense toutes les différences entre la contrainte pénale et le sursis mise à l’épreuve (champ d’application, modalité, système de révocation, durée, etc...).

« Des différences substantielles apparaissent. Mais sont-elles suffisantes pour donner à chacune d’elles une lisibilité ? L’opinion publique risque d’être peu sensible à ces distinctions qu’un juriste a parfois du mal à comprendre. La fusion des deux peines à plus ou moins long terme n’est donc pas à exclure et apparaît même. »

La contrainte pénale, « c’est la même chose ou presque que le sursis avec mise à l’épreuve, en beaucoup plus compliqué juridiquement », estime également Martine Herzog-Evans, professeur de droit et présidente de la Confédération francophone de la probation. « On ne fait pas changer de pratique les magistrats seulement en ajoutant une nouvelle peine. Aucun pays au monde qui l’a tenté ne l’a jamais réussi », dit-elle.

Dans une tribune publiée dans Le Monde, le député (UMP, Rhône) Georges Fenech juge que ce sursis avec mise à l’épreuve est « un échec », notamment faute d’un nombre suffisant d’agents de probation.

La contrainte pénale va-t-elle se substituer à des peines de prison ?

C’est le principal angle d’attaque des parlementaires de droite. Le député UMP des Alpes-Maritimes Eric Ciotti a ainsi prédit mardi 3 juin sur RMC une « augmentation très forte de la délinquance ».

« On va substituer une peine de prison ferme, désormais pour tous les délits, par un suivi de la personne condamnée qui va être virtuel. On va transformer des peines effectives, des peines de prison qui se situent à l’échelon ultime de la sanction et qui ont un effet protecteur pour la société. »

Un argument auquel dix associations et syndicats de professionnels de la justice, classés à gauche, et regroupés dans un collectif baptisé Liberté, égalité, justice, ont répondu dans un document intitulé « Combattre les idées reçues autour de la réforme pénale » :

« Rien n’oblige les juges à la prononcer : même dans les cas où elle serait applicable, ils pourront toujours choisir de prononcer une peine de prison si, après évaluation, la contrainte pénale ne s’avérait pas la sanction la plus adaptée à la situation et à la personnalité de l’auteur de l’infraction. De même que dans l’hypothèse d’un non respect de ses termes, une peine d’emprisonnement pourrait être prononcée »

Dans son étude d’impact, le ministère de la justice souligne que « la peine de contrainte pénale viendra principalement en substitution de sursis avec mise à l’épreuve ou de courtes peines d’emprisonnement faisant l’objet d’un aménagement ».

François Béguin
Journaliste au Monde

>> http://www.lemonde.fr/societe/artic...
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