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Les droits fondamentaux, toujours pas d’actualité en prison

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, publie ce mercredi midi son rapport annuel sur le respect des droits fondamentaux dans les prisons, locaux de garde à vue, centres de rétention administrative et établissements psychiatriques. Bilan : la situation ne s’arrange pas. Certains droits les plus élémentaires ne sont toujours pas garantis. Voici ce que l’on peut retenir des 300 pages du rapport.

Les fouilles corporelles, encore et toujours

En prison, la fouille corporelle est systématique. Et humiliante : les détenus doivent se dévêtir entièrement (pas toujours dans des locaux prévus pour une telle mise à nu), lever les bras, tousser, parfois s’accroupir ou se pencher. En 2009, à l’Assemblée nationale, les fouilles avaient été l’objet d’un débat passionné lors du vote de la loi pénitentiaire. Celle-ci, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en a théoriquement encadré la pratique. Mais le contrôleur des lieux de privation de liberté note que, dans les faits, il n’a constaté aucune évolution.

« Comment aurait-il pu en être autrement.(...) L’usage avoué de la fouille est de découvrir des objets ou substances interdits. (...) Mais les fouilles ont évidemment d’autres usages. Elles constituent un instrument essentiel de maintien de l’ordre dans les prérogatives importantes qu’elles confèrent au personnel. (...) Elles sont naturellement aussi le signe tangible du dépouillement auquel vous astreint la détention. (...) Se dévêtir, alors même que les vêtements pénitentiaires obligatoires ont disparu, c’est abandonner ses références au « dehors » pour se fondre dans l’uniformité carcérale. »
Sur la confidentialité des soins

Extrait du courrier d’un détenu envoyé au Contrôleur :

« Monsieur, hier, il se trouve que j’ai été à l’hôpital concernant un problème intime.

Je suis parti avec le pénitentiaire, trois surveillants, et deux gendarmes, deux véhicules. Pour la consultation, il m’a été impossible de parler seul avec un médecin. Je précise, cinq personnes pour un homme, ça fait beaucoup pour un Etat qui se prétend en déficit.

Ma question est la suivante : quels sont les droits qu’ils nous restent concernant un malade et son médecin ? Car j’ai trouvé ça aberrant de parler de mes testicules devant trois surveillants et deux gendarmes. »

Sur le droit à l’image des prisonniers

Plusieurs producteurs et réalisateurs de documentaires ont dû mener un bras de fer avec l’administration pénitentiaire pour pouvoir diffuser leur reportage en prison sans avoir à flouter les détenus qui acceptaient d’apparaître à visage découvert. France 3 a même préféré déprogrammer le documentaire « Le Déménagement », face aux menaces de l’administration. Pour l’instant, seuls Canal + et la réalisatrice Stéphane Mercurio ont maintenu, en 2011, la diffusion de « A l’ombre de la République », qui sort en salle le 7 mars, sans que les visages soient floutés. Le contrôleur réagit à la polémique dans son rapport :

« L’administration pénitentiaire continue d’exiger le "floutage" systématique de leurs visages. Pourquoi le fait-elle ? Pour protéger les victimes ? Pour sauvegarder l’intérêt de la personne détenue ? Nullement. La plupart du temps, elle serait bien incapable de trouver une raison en ce sens : elle connaît d’ailleurs mal le passé et l’existence et des unes et de l’autre. La vraie raison en est double : elle entend maintenir la personne incarcérée dans l’absence d’autonomie ; elle veut continuer à lui donner son visage de criminel, c’est-à-dire précisément le portait de quelqu’un sans visage et sans humanité. »

Sur l’accès au téléphone

Lien entre le dedans et le dehors, le téléphone est un moyen pour les personnes détenues d’entrer en contact avec leurs proches ou leur avocat. Selon le contrôleur général des lieux de privation de liberté « la pratique du téléphone est une illustration parfaite de la question de l’effectivité des droits. Il y a bien un droit « en théorie », mais la pratique est bien autre chose. »

« Le nombre de numéros qu’il est possible d’appeler est encore variable d’un établissement à l’autre. Il est souvent imposé - sans qu’aucun texte ne le prévoie - que ces numéros soient ceux de personnes qui disposent d’un permis de visite. (...) Les heures d’utilisation ne permettent ni d’appeler des proches le soir après leur travail, ni certains pays avec décalage horaire. (...) On ne doit pas s’étonner, dans ces conditions, auxquelles s’ajoutent la cherté des communications et la circonstance qu’elles sont, en principe, écoutées systématiquement, que les personnes détenues recourent massivement aux téléphones cellulaires, en principe interdits mais dont chacun sait qu’ils sont présents. »

Le travail en détention, toujours aussi précaire

Le travail revêt une importance en prison. Avoir une activité rémunérée permet aux personnes détenues de subvenir à leurs besoins, d’apaiser les tensions et d’amorcer une démarche de réinsertion. C’est une manière aussi de participer au fonctionnement quotidien des prisons (nettoyage, blanchisserie, confection et distribution des repas...). « Malgré sa nécessité, regrette le Contrôleur, nettement moins d’une personne incarcérée sur deux (39%) bénéficie aujourd’hui d’un travail. »

« Les emplois sont faiblement qualifiés au sein d’une organisation peu propice au travail. Les personnes détenues doivent souvent choisir entre leur travail rémunéré et les promenades, ou encore des rendez-vous médicaux et ce, quel que soit le mode de gestion de l’établissement pénitentiaire et la nature de l’emploi. Le récent cadre juridique devrait améliorer la situation, mais il n’est pas encore appliqué aux rémunérations qui restent, de ce fait, faibles et hétérogènes. De surcroît, les bulletins de salaire sont difficiles à décrypter pour les travailleurs incarcérés. »

De plus en plus d’agressions

« Il y a lieu d’être très préoccupé du développement du nombre d’agressions dans les prisons, de l’accroissement sensible du nombre de prises d’otage (heureusement encore peu fréquentes), du développement des manifestations collectives. Sur ce dernier point, en dehors des refus de “remontée” à l’issue des promenades, en nette augmentation, on a vu circuler des pétitions signées de personnes détenues, protestant en particulier contre leurs conditions d’existence et "les multiples incohérences dans le fonctionnement" de leur établissement. Le contrôle général en a reçu plusieurs et, au-delà des situations qu’elles visent, les perçoit comme un signe de dégradation dans les relations carcérales à laquelle il faudrait être attentif. »

A dix dans une cellule de garde à vue

Alors que la loi du 14 avril 2011 sur la garde à vue vise à assurer le respect de la dignité de la personne, le contrôleur général des lieux de privation de liberté est très critique sur l’état des locaux. Il pointe une relative « indifférence au sujet ».

« Dans un commissariat d’une ville confrontée à une délinquance de "cité" très significative, existent deux cellules totalisant 8 m² 25 pour une moyenne de quatre gardes à vue par jour. Mais la concentration des gardes à vue à certaines heures de la journée fait qu’il n’est pas inhabituel d’accueillir une dizaine de personnes dans ces cellules, soit moins d’un m² par personne. Il existe des locaux d’évidence tout à fait inadaptés au nombre de gardes à vue effectuées. On doit avoir clairement à l’esprit que de telles conditions, inacceptables, ne facilitent guère l’apaisement urbain. De surcroît, dans de telles hypothèses, la séparation des mineurs et des femmes d’une part et des hommes d’autre part, apparaît impossible à obtenir. (...) La possibilité de se laver pendant ou à l’issue d’une garde à vue (durée moyenne : environ treize heures, souvent la nuit) n’existe pas encore en France. »

En pyjama dans les établissements psychiatriques

« Dans des établissements visités, toutes les personnes hospitalisées sans consentement sont astreintes au port du pyjama durant toute la durée de leur séjour. Ces pratiques, si elles ne sont pas adaptées à l’état du malade, sont constitutives d’un traitement pouvant être qualifié de dégradant. (...) Comme il a déjà été également constaté les autres années, le respect de l’intimité des personnes est considéré comme un domaine secondaire. »

>> http://www.liberation.fr/societe/01...
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