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Les peines de prison ferme n’empêchent pas la récidive

L’affaire des trois personnes condamnées à de courtes peines d’emprisonnement et libérées par le parquet de Dreux auquel elles avaient été présentées par la police a suscité les réactions attendues, en termes de dénonciation de l’impunité des délinquants, du laxisme des magistrats et de la politique de la garde des sceaux. Sans revenir sur la forme de l’affaire, à savoir le bien-fondé de la décision du ministère public, dont Christiane Taubira a rappelé qu’il agissait dans le cadre de la loi pénitentiaire de 2009 préparée par ses prédécesseurs à la chancellerie, c’est un débat sur le fond qu’il importerait de mener.

Un débat autour du problème de l’efficacité de l’emprisonnement sur la prévention de la récidive. L’erreur a peut-être été, en effet, de présenter la décision du procureur de la République comme n’étant motivée que par la surpopulation dans la maison d’arrêt de Chartres où les condamnés devaient être incarcérés. La question qui se pose plus fondamentalement est de savoir si les mettre en prison servait le bien commun, c’est-à-dire la réduction de la délinquance. Question à laquelle la réponse ne doit donc être ni morale ni idéologique, mais simplement pragmatique : qu’est-ce qui marche et qu’est-ce qui ne marche pas ?

A cette question, Eric Ciotti, spécialiste des questions de sécurité à l’UMP et auteur d’un rapport sur l’exécution des peines commandé par Nicolas Sarkozy, apporte une réponse sans ambages : "Le seul message efficace pour éviter la récidive, c’est la prison ferme." Qu’on approuve ou non les opinions du député, s’il dit vrai, l’argument est décisif pour plus de sévérité, et surtout pour le renoncement aux mesures alternatives à la prison, tels les travaux d’intérêt général, et aux aménagements de peine, notamment sous bracelet électronique. Qu’en est-il donc ?

Il se trouve que pratiquement toutes les enquêtes menées sur le plan international convergent sur un point : l’inefficacité de l’emprisonnement sur la prévention de la récidive. Un état des connaissances actuelles sur la base de centaines d’études réalisées dans les pays occidentaux a été récemment publié dans la prestigieuse revue Annual Review of Law and Social Science. Sans contester l’effet potentiellement dissuasif de la peine d’une manière générale, les auteurs s’intéressent à la dissuasion spécifique : quelles sanctions sont susceptibles de dissuader un individu coupable d’un délit ou d’un crime d’en commettre à nouveau ? Les analyses statistiques sont formelles : l’emprisonnement ferme produit des taux de récidive plus élevés que les peines sans prison ; il en est de même des incarcérations longues comparées à de plus courtes. La France ne fait pas exception.

Une enquête parue dans les Cahiers d’études pénitentiaires et criminologiques établit, à partir de 7 000 dossiers de sortants de prison, que, toutes choses égales par ailleurs, la probabilité de récidive est réduite lorsqu’il y a eu condamnation sans privation de liberté ou aménagement de la peine par comparaison avec les emprisonnements ferme avec "sortie sèche". En réalité, non seulement les séjours en prison exposent les condamnés à un milieu criminogène mais, quand ils ne sont pas aménagés, ce qui est le cas des petites peines, ils désocialisent les détenus en leur faisant perdre leur insertion professionnelle et leurs liens familiaux, dont on sait le rôle préventif.

EFFETS DÉLÉTÈRES À LONG TERME

Il est par conséquent loisible à chacun de souhaiter plus d’emprisonnement ferme, y compris pour les courtes peines, mais ce ne saurait être ni sur des bases scientifiques ni pour l’intérêt général. Ainsi, quand Manuel Valls déclare : "Je suis pour une exécution ferme des peines de prison, même les plus courtes", on peut savoir gré au ministre de l’intérieur de nous faire partager son opinion sur ce sujet sensible. Mais dans la fonction qui est la sienne, on peut attendre qu’il en fasse un peu plus, et qu’il fonde cette opinion sur une analyse éclairée et dans la perspective du bien commun. Enfermer plus peut satisfaire une partie de l’électorat, mais les effets à long terme risquent de s’avérer délétères pour l’ensemble de la population.

Le débat engagé autour de l’affaire de Dreux doit donc être traité de manière sérieuse et responsable. On peut le faire en se fondant sur des connaissances empiriques et en se prévalant d’une éthique de la chose publique. Alors que se prépare une importante et nécessaire réforme de la législation pénale, que toutes les occasions semblent propices à fragiliser, et tandis que la surpopulation carcérale ne cesse de battre des records, les hommes et les femmes politiques doivent faire preuve de rigueur et de dignité dans la conduite de cette réflexion collective. Produit d’un processus démocratique, la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive jette des bases pour cette réflexion.

Si l’objectif de l’actuel gouvernement est de défendre la société mieux que ne l’ont fait les gouvernements précédents, il faut avoir ce "courage de la vérité" auquel Michel Foucault a consacré, peu avant sa mort, ses ultimes enseignements : "Prendre le risque de dire, en dépit de tout, toute la vérité."

Didier Fassin (Professeur à l’Institute for Advanced Study (Princeton) et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales )

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