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Relation, sexualité, prévention : en prison, je sensibilise les détenus à la vie affective

Si vous pensez que la prison est le pire endroit pour discuter sexualité et intimité, vous vous trompez. J’ai bien plus de mal avec certains lycéens qu’avec des personnes détenues.

Je suis éducatrice en santé pour une association spécialisée dans la vie affective et sexuelle. Ma mission est de sensibiliser les usagers aux différents dangers auxquels ils sont exposés, mais aussi de les aider à vivre au mieux leur vie sentimentale.

J’interviens dans des lycées, en boîte de nuit, dans des résidences sociales et, depuis un an, dans des centres de détention et maisons d’arrêt pour hommes et pour femmes.

Un sujet tabou et difficilement abordable

Les problématiques et les attentes diffèrent de la cours de récré à la prison, j’adapte donc mes ateliers en fonction.

En prison, je discute avec les arrivants lors d’une rencontre épisodique dédiée à les informer principalement sur le VIH et les IST et je propose des ateliers qui se déroulent sur plusieurs semaines aux personnes détenues "installées".

Même s’il est indéniable qu’il existe une sexualité en prison, cela reste un sujet tabou et difficilement abordable. Je leur parle donc surtout de "l’après". Si cela finit par leur servir en prison, c’est tant mieux.

Lorsque j’informe les "arrivants", ils sont encore sous le choc de l’incarcération. Ils sont désormais privés de beaucoup de choses, parmi lesquelles leur sexualité et leur vie sentimentale. Certains ont un conjoint à l’extérieur, d’autres ont vécu une rupture à cause de leur incarcération.

Ce n’est jamais évident pour moi de trouver les bons mots. D’autant plus que je ne les vois qu’une fois dans ce cadre-là, ce qui ne me laisse pas le temps de créer une relation de confiance avec eux et d’amener les choses petit à petit.

Certains quittent la séance le rouge aux joues

À l’inverse, avec les ateliers que je propose aux personnes détenues, je peux construire une relation sur plusieurs séances et amener certains sujets plus délicats avec douceur.

Ces rencontres d’une heure et demie ne sont pas obligatoires. Les personnes détenues sont informées de l’activité que nous proposons grâce à un affichage sur les murs de la prison, ils ont le choix de s’inscrire ou pas.

J’accepte un maximum de 10 personnes par atelier. Je suis souvent seule, parfois accompagnée d’un intervenant quand le sujet s’y prête, et il est impossible de mener à bien une séance avec une salle pleine à craquer. L’idée est que tout le monde puisse prendre la parole librement. Ce qui n’est pas possible avec un gros groupe, en prison comme au lycée d’ailleurs.

Ce n’est pas un cours théorique mais bien un atelier qui permet d’échanger. Je n’ai pas la science infuse et je ne suis pas psy. Ces ateliers sont un échange. J’informe les participants et je les encourage à parler. Eux me posent des questions ou partagent leur vécu et leurs craintes. Souvent gênés, ils prennent leur temps avant de se livrer. Certains quittent même la séance, le rouge aux joues.

La prévention fait partie de mon travail

Rapport à l’autre, rapport à soi, amour, amitié, sexe, relations… j’évoque beaucoup de sujets lors de ces séances. La prévention est une partie de mon travail, mais ce n’est pas le seul. Parfois, ils rappellent eux-mêmes l’importance du sexe protégé.

Lors d’un atelier, alors que l’on discutait de la préparation à un rendez-vous galant ou à une sortie entre amis, un des détenus a confié qu’il pensait qu’il fallait toujours avoir un préservatif sur soi, même si on ne s’en servait pas.

Son intervention m’a permis de rebondir sur le sujet et d’informer un peu plus les autres participants. Aborder des questions lors d’un échange comme celui-là est bien plus pertinent et efficace que de réciter un cours théorique. Je suis d’ailleurs extrêmement déçue quand la séance ne prend pas et que je me retrouve à réciter mon Powerpoint sur les IST.

J’ai été agréablement surprise par les réactions des détenus

Ces ateliers m’ont permis de me rendre compte du bon niveau d’éducation des personnes détenues en termes de sexualité, d’égalité hommes-femmes et de relations humaines.

En abordant la question des relations entre conjoints et la gestion du foyer, j’ai été agréablement surprise d’entendre que "les hommes aussi peuvent bien rester à la maison" ou que pour un bon ménage il fait "une répartition 50/50 des tâches ménagères".

J’ai aussi pu voir comment ils se comportaient avec moi. En un an, pas un seul homme ne m’a draguée. Pourtant, je discute sexualité avec des hommes d’une quarantaine d’années en prison depuis 15 ans. Aussi surprenant que ça puisse paraître pour certains, les personnes détenues viennent même me serrer la main en fin de séance, me vouvoient et m’appelle "Madame".

Certains redoutent le retour à la vie "normale"

Je me tiens également à leur disposition pendant des permanences, ce qui leur permet de venir me voir plus discrètement s’ils veulent aborder des sujets différents ou qu’ils estiment gênants.

Un des thèmes que j’aborde régulièrement, c’est le retour à la vie affective. Certaines personnes sont incarcérées depuis 15 ou 20 ans, ce n’est pas évident pour elles de se réapproprier cette partie de leur intimité une fois libérés. Je les aide donc à parler de leurs appréhensions.

Certains redoutent le retour à la vie "normale". Il ne se sont pas forcement vu changer et surtout ils n’ont pas vu la société changer. La rencontre et le rapport à l’autre deviennent alors des sources de doutes et d’angoisses.

Jamais eu de coup d’éclat ou de débordement

Que ce soit en groupe ou en individuel, les détenus, hommes comme femmes, ont toujours été très respectueux avec moi. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a jamais eu de coup d’éclat ou de débordement. Ce qui ne suffit pas à rassurer mon père et mon grand-frère, qui sont plutôt inquiets de me voir passer les portes de la prison si régulièrement. Pourtant, je ne me suis jamais sentie en danger.

Comme ils ont du mal à comprendre, je leur explique que j’ai à ma disposition dans chaque salle un gros bouton rouge sur lequel il me suffit d’appuyer pour que toute la sécurité de la prison débarque. En un an, je n’ai jamais eu à m’en servir.

Évidemment, le cadre n’est pas toujours anodin ou évident. À chaque fois que je vais en détention, j’ai l’impression de prendre l’avion. Les portiques de sécurités ont leurs humeurs aussi. Selon les jours, ils sont plus ou moins sensibles. Il arrive que tout sonne jusqu’à ma minuscule barrette dans les cheveux. Si je veux ramener ne serait-ce qu’une clef USB pour montrer un film aux participants, elle doit être analysée. Les ordinateurs, c’est encore pire.

Je couvre trois établissements et je vais en détention une fois par semaine environ. Cela dépend des ateliers et des coupures que je fais entre pour pouvoir penser et organiser ceux à venir. Mais oui, ces mesures de sécurité peuvent être chronophages et agaçantes même si elles demeurent essentielles.

Je vois la solitude et la fragilité

Au-delà de cet inconfort facilement surmontable, travailler en prison, c’est aussi être exposé à beaucoup de solitude et de fragilité.

Les hommes cachent mieux leur jeu que les femmes qui éclatent souvent en sanglot devant moi. D’autres ne pleurent pas, mais leur regard trahit une profonde tristesse. Je ne sais alors pas trop comment me comporter. Je ne suis pas psy et j’ai énormément d’empathie. Quand je sors d’une rencontre de ce type, je ne me sens pas toujours très bien. C’est un sentiment que j’ai du mal à décrire, mais il est bien présent.

J’essaie alors de prendre de la distance mais ce n’est pas toujours évident. Pour évacuer, je parle énormément avec mes collègues de l’association. À mes débuts, nous avions instauré un débrief systématique. Ça me permettait de faire le point sur ce qui avait été dit et sur mes réactions.

J’avais peur de ne pas être à la hauteur

Mon unique crainte quand il a été question que je travaille en prison, ça a été de ne pas être à la hauteur.

J’avais peur de ne pas bien faire mon job, de ne pas comprendre ce monde et ses codes qui me sont étrangers. En prison, tout est amplifié. Je ne voulais pas mal faire et j’ai pris énormément de temps pour m’éduquer sur la question. J’ai lu, j’ai posé des millions de questions à mes collègues qui étaient aussi passés par là.

Aujourd’hui, j’ai gagné en autonomie, mais je ressens quand même le besoin de parler après certaines séances ou rencontres.

Nous avons d’ailleurs prévu une aide professionnelle dans notre association pour ceux qui interviennent dans des milieux qui ne sont pas toujours évidents à appréhender.

Je veux juste faire au mieux mon travail et aider ces personnes. Parfois, certains veulent me dire ce qu’ils ont fait pour atterrir en prison. Je les arrête tout de suite. Je ne veux pas savoir. Pourquoi ? Parce que ça ne me regarde pas. Je ne les juge pas. D’autres l’ont déjà fait.

Propos recueillis par Barbara Krief.

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